VIOLS ET PSYCHOPATHIE
VIOLS ET PSYCHOPATHIE
VIOLS ET
PSYCHOPATHIE
Le terme de déséquilibré
psychique ou de psychopathe recouvre une entité ambiguë mais certaine,
difficile à définir et qui, de ce fait, devient une
catégorie « fourre tout ».
La psychopathie ne se décrit pas
en termes de symptômes, de structure ou de mécanismes de défense mais en termes
de comportement.
C’est donc la trajectoire
vitale d’un individu qui permettra de parler de psychopathie en sachant que
celui-ci est sous la dépendance de certains types de comportement
stéréotypés, inévitables et chroniques.
Le déséquilibré, comme
l’écrit Sutter « est dans l’impossibilité de suivre un plan d’existence
harmonieux conforme à ses intérêts et aux exigences de la vie en
société ».
Trois grandes
caractéristiques se retrouvent chez le sujet psychopathe :
- l’incapacité de
s’adapter aux règles, aux lois et aux contraintes
- l’impulsivité, facilitant le passage à l’acte immédiat et non
réfléchi
- l’impossibilité de tirer
un enseignement de l’expérience et se prémunir contre les récidives d’un
comportement préjudiciable.
Une instabilité
professionnelle, sentimentale et sociale sont constantes.
L’impossibilité de supporter
les contraintes, l’intolérance à la frustration et le passage à l’acte
immédiat rendent compte des inévitables conduites déviantes socialement ou
médico-légales.
Les individus psychopathes
sont insensibles aux menaces et aux répressions sociales et répètent
indéfiniment les mêmes erreurs, sans pouvoir stocker une expérience ni
anticiper les conséquences de ses actes.
Tels sont les grands aspects
de la psychopathie qui conduisent inévitablement à une existence marginale. On
l’appelle encore névrose de caractère car c’est une organisation
pathologique, sans symptôme défini, avec un certain archaïsme des
investissements affectifs, une pauvreté des échanges avec autrui, une rigidité
des conduites fondées sur la répétition. Le fait fondamental est l’égosyntonie,
c'est-à-dire que le sujet n’éprouve ni conflit, ni angoisse dans son
fonctionnement mental.
M.D. ,
âgé de 46 ans , est condamné à 18ans RC pour viols, agressions sexuelles et
menace de mort faite sous condition et en récidive.
LES FAITS
Le 10 novembre 1995, Mme C.
et l’éducateur de son fils se présentaient à la brigade des mineurs pour
dénoncer des faits de viols et agressions sexuelles sur ses enfants.
Le jeune garçon, âgé de 10
ans, expliquait avoir été victime d’une tentative de sodomie par son oncle,
hébergé provisoirement dans la famille, et avoir dû pénétrer analement M.D.
avec ses doigts, sous la menace.
Sa sœur, âgée 12 ans
dénonçait des tentatives de pénétrations vaginales.
Il n’était pas possible de
procéder immédiatement à l’audition de l’accusé, celui-ci se trouvant incarcéré
pour des faits de viols. Mme C. déclarait craindre de manière très vive les
réactions de M.D. à sa sortie de détention.
Dès qu’il fut possible de
l’interroger, M.D. dira simplement :
« C’est vrai ce qui
s’est passé, c’est l’alcool et les comprimés qui m’ont amené à faire ça sur les
enfants, ça me faisait perdre la boule, plus j’étais angoissé et plus je
buvais. Je ne sais pas pourquoi c’est venu sur les enfants, la promiscuité peut
être, c’est l’occasion qui fait le larron »
Le 23 juin 1995, à bord d’un véhicule qu’il
venait de dérober, M.D. avait accosté deux jeunes filles qui rentraient à pied
chez elle et leur avait proposé de les rapprocher de leur domicile. En chemin,
il s’était arrêté dans un champ et sous la menace d’un couteau à cran d’arrêt
avait violé et sodomisé une d’entre elles avant de les laisser repartir.
Intercepté par la police, il
dira : « tout ça c’est du bluff, je n’ai pas de couteau et les
connes, elles l’ont cru. Il y en a une qui était consentante, ce n’est pas un
viol. »
M.D. a eu de multiples
incarcérations de 1973 à 1995, pour attentat à la pudeur, tentatives de viols,
proxénétisme.
Les faits de viols et
agressions sexuelles s’inscrivaient dans un ensemble comportemental de
délinquance commencé très jeune et s’accentuant au fil des ans malgré les
peines infligées.
Dès l’âge de 10 ans, M.D.
s’était signalé aux autorités judiciaires pour avoir mis volontairement le feu
dans la grange d’un voisin.
Il n’avait pas cessé de
récidiver par la suite : vols de vélos, de pièces détachées, de fleurs
dans les cimetières pour les revendre.
Dans le même temps, scolarité
médiocre avec plusieurs changements d’établissements et renvoi à 14 ans pour
avoir frappé son directeur.
Placé dans un foyer de l’Aide
à l’Enfance, il n’y resta que quelques jours avant de fuguer et sera incarcéré,
à 15 ans, pour 4jours dans une Maison d’Arrêt.
A peine sorti de prison, il
s’était installé chez une amie de sa mère, âgée de 30 ans, en instance de
divorce, avec laquelle il aura une fille
qu’il n’a pas reconnue.
A 16 ans, il est retourné en
prison pour une courte peine puis régulièrement pour une série de vols et
d’agressions sexuelles à répétition.
PERSONNALITE DE M.D.
Elevé dans un climat de
mésentente familiale, de scènes violentes entre les parents, M.D. s’est trouvé
en conflits ouverts avec son père alcoolique, brutal et sadique vers l’âge de
10 ans.
« Jusqu’à l’âge de 15
ans, cela a été la catastrophe et à 15 ans, je me suis révolté et je lui ai
tapé dessus et j’ai été tranquille. Ma mère était douce et me donnait toujours
raison. »
M.D. est un individu
déséquilibré mental, ce qu’on appelle un psychopathe. Ses troubles
pathologiques sont nombreux, c’est un inadapté social.
Traits de caractère
psychopathiques :
- c’est un dysthymique :
l’humeur présente des variations anormales, brutales, superficielles, rapides
et objectivement peu motivées ;
- les troubles caractériels
sont intenses avec irritabilité, susceptibilité, hyperémotivité ;
- Il fait preuve d’immaturité
affective qui s’exprime dans des tendances sado-masochistes dans ses paroles et
ses actes ; il éprouve le besoin de faire souffrir les autres et réagit
violemment et avec colère si on le met en cause ;
- C’est un mythomane qui arrange la réalité
selon ses intérêts. Il sait séduire et manipuler affectivement les autres en
vue de bénéfices pratiques.
En résumé, les conduites
psychopathiques sont généralement guidées par l’agressivité, l’impulsivité, la
violence, l’absence de sens moral, l’instabilité, la tendance au passage à
l’acte, l’intolérance à la frustration, l’ancrage dans la marginalité, la
délinquance et la toxicomanie.
M.D. revêt ces différents
caractères. Son évolution est marquée par une constante répétition d’actes
transgressifs et une escalade dans la gravité des faits.
Il n’éprouve aucun sentiment
de culpabilité et de remords et garde en toutes circonstances une attitude
provocatrice et insolente, accusant la
société d’être la cause de toutes ses difficultés.
AVIS D’EXPERT
A la différence de plusieurs
experts ayant noté que M.D. était inamendable et incurable, un expert a pointé
des aspects permettant de mieux comprendre le fonctionnement de ce type de
personnalité et les leviers éventuels de traitement.
Il a pointé les nombreux
tatouages illustrant les bras, le torse, les mains et même le visage de
l’individu. Ces tatouages racontent l’histoire et la vie de M.D. comme s’il lui
fallait marquer quelque part les ressentis de son existence pour s’en
souvenir car, en effet, le psychopathe manque d’imaginaire :
- ses amours (d’abord maman
puis le prénom des femmes aimées),
- ses angoisses (le diable,
l’enfer, le feu)
- ses idéaux (l’aigle, le
lion, l’ange)
-ses haines (d’abord son père
puis la police)
L’expert a noté ensuite
« un vécu douloureux de mal aimé, d’écorché vif avec une trop grande
sensibilité aux frustrations et un mauvais contrôle émotionnel, peu capable de
nuances. Impulsif, violent, s’il se sent rejeté, il ne se laissera pas faire en
situation conflictuelle. »
Il a noté un sens moral
inéduqué mais aussi une quête intense d’aide mal formulée. Le comportement de
M.D. intervient en fonction des autres et il craint par-dessus tout
l’isolement et la solitude. « La primodélinquance a été réactionnelle au rejet du père car étant
mineur, il désirait lui attirer des ennuis et à la tolérance excessive de la
mère. Par la suite, comportement abandonnique et délinquance de caractère
pouvait s’apparenter à un suicide social. »
Cependant, M.D. ne peut pas être classé parmi les
personnalités antisociales décrites dans le DSM IV ; Ce type de
personnalité a des traits communs avec la psychopathie ( mépris et transgression des droits d’autrui,
agressivité, irritabilité, impulsivité ) mais suppose une personnalité
suffisamment structurée pour faire le choix de la délinquance volontaire et le
refus de se conformer aux normes sociales pour en tirer des profits (braquage
de banques par exemple)
Ce n’est pas le cas de
l’individu psychopathe, mal structuré et incapable de faire des choix et se
laissant mener par les événements et les circonstances.
Certains auteurs ont noté que
la réaction antisociale fait partie du développement normal de l’adolescent et
se manifeste parfois par des comportements destructeurs, la remise en cause de
l’autorité parentale et sociale. Cette réaction s’inscrit dans une démarche
positive de l’affirmation de soi dans le développement infantile.
Mais la continuité de ces
comportements à l’âge adulte et la répétitivité des passages à l’acte posent la
question du déséquilibre mental qui serait un mode de fonctionnement au long
cours, visant à la transformation de la réalité en vue de satisfactions
immédiates.
APPROCHE PSYCHODYNAMIQUE
DE LA PSYCHOPATHIE
Le destin psychopathique se
scelle essentiellement dans la première enfance, en particulier les premiers
mois de la vie de l’enfant.
Il est fait violence à
l’enfant dans un temps très précoce, archaïque de son développement, dans ce
temps pré-verbal où il est encore confondu et assujetti imaginairement à sa
mère.
Les rapports entre
psychopathie et carences maternelle et familiale très souvent mis en avant,
pointent en général l’aspect déficient de la famille et des modèles parentaux
dans l’éducation.
A l’inverse du manque, il est
nécessaire de souligner le « trop plein » d’apports de
ces familles dans leur mode de fonctionnement :
- trop plein de jouissance
apporté au bébé avec la satisfaction anticipée de ses besoins immédiats, ce qui
le ferme à l’expérience du manque et par conséquent à l’imaginaire et à
l’émergence du désir. Le psychopathe ne sait pas rêver, anticiper la
satisfaction attendue car sa psyché est restée au niveau du besoin et non du
désir.
Il cherche toujours la
satisfaction immédiate de ses besoins et n’a pas appris à les différer, à les
exprimer en demandes et encore moins en désirs.
- trop plein d’agir à la place de la parole et du langage d’échanges. Toute
communication passant par les gestes peut apporter des formes d’excès de
mauvais traitements mais aussi des
manipulations de surstimulation du corps
de l’enfant, pouvant aller jusqu’à la manipulation incestueuse.
- trop plein de complaisance,
de surprotection, de tolérance de la part de la mère, s’érigeant en
force toute puissante et illimitée face à un père disqualifié et nié
dans sa fonction paternelle.
- trop plein d’autoritarisme,
de violence de la part du père qui se disqualifie lui-même en revendiquant par
la brutalité sa place de père et peine à se faire reconnaître porteur de la
loi.
Dans ces conditions, le
sujet est maintenu aliéné dans cette double menace de
l’emprise incestueuse de la mère et de se soumettre à un ordre fondé sur la
violence du père.
Les actes du psychopathe
seront autant de tentatives désespérées pour proférer un NON à cette situation
intenable.
Dans tous les cas de figure
de la psychopathie, on retrouve l’omnipotence d’une mère qui va récuser la
fonction d’autorité du père.
La forclusion du père est
évitée (sinon le sujet serait psychotique) mais l’accès au symbolique (et en particulier à la castration symbolique)
est compromis.
Le sujet reste donc dans
cette position inconfortable, mal structurée, bloquée et fixée dans l’archaïque
dont il ne parvient pas à se déprendre.
Les conséquences d’un tel
positionnement sont caractérisées par
- le maintien dans un temps
archaïque qui est le temps du besoin, en
deçà de celui du désir et s’exprimant par des revendications constantes, des
exigences, des réclamations, des
protestations, des plaintes. Le sujet peut très difficilement formuler
une demande ou exprimer un éprouvé de satisfaction.
- la dépendance extrême à la
mère, insoutenable psychiquement, génératrice de culpabilité inconsciente et
qui invalide les autres relations en particulier féminines. Le sujet ne sait
pas trouver la bonne distance entre la fusion et l’indifférence, la domination
et la dépendance extrême.
- l’accès impossible à des
représentations symboliques stables perturbe le déploiement de sa vie
fantasmatique. La vie imaginaire est pauvre malgré une intelligence assez
riche.
- la défaillance du tiers
paternel prive le sujet d’un accès intériorisé à la loi d’où une absence de
sentiment de culpabilité. Les contraintes et obligations ne peuvent venir que
de l’extérieur et sont vécues comme des agressions.
- la prédominance d’une
souffrance tensionnelle et dépressive est redoutée par le sujet psychopathe qui
craint l’abandon et la solitude. Il tente de conjurer ce mal être par la
consommation d’alcool et de drogues ou le passage à l’acte toujours source de
jouissance immédiate.
THEORISATION DE LA
PSYCHOPATHIE
En regroupant tous ces
éléments, il est possible d’établir un tableau synthétique de la psychopathie
- La répétition du passage à
l’acte aurait pour fonction de protéger le sujet de la désorganisation
psychotique. Il n’est d’ailleurs pas rare d’observer des épisodes psychotisants
( perte du sens de la réalité) jalonnant
la vie du psychopathe.
- Le passage à l’acte serait
dès l’enfance, le moyen pour le moi de faire connaître ses besoins primordiaux
(cris, pleurs, refus de s’alimenter, troubles sphinctériens) C’est donc le seul
moyen que l’enfant trouve à sa disposition pour entrer en relation avec son environnement.
- L’angoisse de perte d’objet
protecteur serait donc à l’arrière plan des comportements psychopathiques. On
peut évoquer les troubles de la séparation-individuation de la petite enfance.
- L’existence d’un sentiment
mégalomaniaque chez le psychopathe est souvent observé et montre les
difficultés identificatoires du sujet qui passe très vite, non pas à
l’intériorisation d’un surmoi interdicteur, mais à l’acquisition d’un idéal
du moi de Toute puissance.
- La défaillance du
comportement maternel (en carence ou en trop plein) ne l’empêche pas
d’apparaître comme le personnage central de la constellation familiale avec
très souvent confusion des désirs de la mère et ceux de l’enfant.
- Il s’ensuit des difficultés
dans la différenciation du soi et du non-soi d’où l’agir pour se sentir
exister. Quant au père, sa violence même, montre sa faiblesse pour s’affirmer
face au couple mère-enfant.
- L’étude de la constellation
familiale ramène donc à la problématique des imagos parentales : image
maternelle toute puissante donc dangereuse, image paternelle violente et
disqualifiée par la mère donc inquiétante. Sur ce modèle, tout autre venu de
l’extérieur, a priori inquiétant ou dangereux, ne peut qu’être agressé
préventivement.
- L’agressivité est une réponse
à la grande faille du narcissisme et de la continuité de soi. L’acte agressif
inscrit le sujet dans un rôle, une continuité sociale délinquante où sa
personnalité prend forme même s’il doit en payer le prix par la condamnation ou
l’incarcération.
- Le psychopathe est soumis à
des tensions internes intenses ; ses pulsions mortifères créent des
poussées permanentes d’angoisse. Le passage à l’acte n’amène pas la
satisfaction mais le soulagement des tensions et évite la désorganisation
psychique du sujet d’où la nécessité d’une compulsion de répétition.
Les thérapies proposées sont
très difficiles à mettre en place car le sujet a une vie imaginaire et
fantasmatique pauvre. Il a un accès difficile à la symbolisation. Il vit
essentiellement dans le réel et est souvent multirécidiviste avec une escalade
dans la gravité des faits. Il est, en général, très peu demandeur de soins et
d’aide psychologique.