QUELLE PLACE LA CONSTITUTION DE 1958 ACCORDE-T-ELLE AU GOUVERNEMENT ?
Dans un
régime parlementaire marqué par la collaboration entre le pouvoir législatif et
le pouvoir exécutif, le Gouvernement
occupe une place centrale puisqu'il assure une sorte de liaison entre les
assemblées et le chef de l'Etat. La Cinquième République n'échappe pas à ce
modèle, même si la Constitution de 1958 présente des caractéristiques
particulières qui éloignent le régime français des autres régimes
parlementaires plus classiques, comme celui du Royaume-Uni par exemple.
Le
Gouvernement est présenté comme l'une des têtes du pouvoir exécutif, l'autre
étant le chef de l'Etat. Le chef de l'Etat est une autorité chargée de
représenter l'ensemble de la Nation à l'intérieur mais aussi vis-à-vis des
autres pays, en assurant une sorte de permanence et de continuité des
institutions. Cette première tête de
l'Exécutif est, pour cette raison, considérée comme irresponsable politiquement.
Pour contourner cet obstacle et trouver d'autres responsables politiques, le Gouvernement, dans tout régime
parlementaire, endosse la responsabilité politique des actes du chef de l'Etat
par la biais du contreseing, c'est-à-dire d'une contre-signature apposée après
celle du Président de la République.
La Constitution du 4 octobre 1958 consacre au Gouvernement son Titre III, de l'article 20 à l'article 23, juste après celui relatif au Président de la république, mais avant celui qui intéresse le Parlement, ce qui montre la place centrale du Gouvernement dans le régime d'inspiration parlementaire qu'est la Vème République. Alors que certaines velléités exprimées et aussi une pratique ont voulu limiter le rôle du Gouvernement et de son chef, parfois qualifié de « collaborateur » du Président de la République, le Gouvernement a réussi à garder l'essentiel de ses attributions et de son statut, au moins à l'égard du chef de l'Etat, après la promulgation de la révision du 23 juillet 2008. D'une certaine manière, le Gouvernement revient de loin, car ni le titre III de la Constitution consacré au « Gouvernement », ni l'article 8 relatif à la composition de cet organe ne font l'objet de modifications qui étaient pourtant prévues par le projet de révision et qui ont été supprimées par les deux assemblées par un vote conforme dès la première lecture. Le Parlement s'est fait en quelque sorte le défenseur, le garant de cette forme particulière de régime parlementaire qui caractérise la Vème République.
I - La structure gouvernementale
Le Gouvernement est composé du Premier ministre, de ministres et d 'éventuels secrétaires d'Etat. Soumis à un statut relativement protecteur, les membres du Gouvernement forment un organe collégial et solidaire. En ce qui concerne la composition du Gouvernement, l'article 21 fait une mention particulière du Premier ministre, appellation directement empruntée au Royaume-Uni, parce que certains des rédacteurs de la Constitution espéraient instaurer en France un régime parlementaire à l'anglaise. Le Premier ministre est conçu comme devant diriger l'ensemble du Gouvernement (art 21). Si cette fonction ne lui confère pas un véritable pouvoir hiérarchique sur les autres membres du Gouvernement (on parle alors de fonction de Primus Inter Pares), le Premier ministre acquiert cependant un important pouvoir de coordination et d'arbitrage entre les points de vue éventuellement divergents émis par les membres du Gouvernement. Ce pouvoir se rencontre notamment lors de la préparation du budget de l'Etat.
Depuis 1958, les Premiers ministres, dont la résidence se trouve à Matignon, ont fait preuve d'une longévité assez remarquable par rapport aux chefs de gouvernement des Républiques précédentes et cela malgré la remarque de Michel Rocard qualifiant la fonction de chef du Gouvernement, de « bail le plus précaire de la République». Beaucoup plus que la durée, ce qui était visé par cette formule qui est exacte était que le titulaire de la fonction ne savait pas à l'avance quelle serait la durée de celle-ci. En cinquante années, la Vème République n'a connu que dix-neuf Premiers ministres. Encore faut-il remarquer que M. Chirac a été deux fois Premier ministre, en 1974 et 1986. Mais chacun de ces chefs du Gouvernement ont pu constituer plusieurs gouvernements, à la suite de remaniements ministériels. Le choix du Premier ministre appartient au Président de la république, de manière à peu près libre, c'est-à-dire qu'il peut nommer soit le chef de la majorité parlementaire, soit le responsable d'un des partis de la majorité, soit une personnalité qui se trouve proche de ses vues politiques. Le choix du Président est évidemment moins libre lorsque, en période de cohabitation, la majorité parlementaire n'est pas la même que celle qui soutient le Président de la République: en tout état de cause, il serait difficile de nommer un Premier ministre qui n'aurait pas la confiance de l'Assemblée nationale. Une seule femme a été jusqu'à présent nommée Premier ministre; il s'agit de Madame Edith Cresson en 1991.
Les
ministres sont également nommés par le Président de la République mais sur
proposition du Premier ministre (art 8 de la Constitution), ce qui signifie
qu'il doit y avoir accord entre les deux autorités exécutives pour nommer un
ministre. La pratique de la Vème République montre très peu de cas de
désaccords et le Président de la République ne peut, en tout état de cause que
s'opposer à la nomination de certains ministres, ce que François Mitterrand a
fait dans deux cas, en 1986, lors de la première cohabitation.
La Constitution
est en revanche plus ambigüe quant à la cessation de fonctions des membres du
Gouvernement. Il faut là encore distinguer entre le Premier ministre et les
autres membres. L'article 8 précise que le Président de la République met fin
aux fonctions du Premier ministre sur la présentation de la démission du
Gouvernement, ce qui implique que sa démission entraîne celle de l'ensemble du
Gouvernement. Une démission est, en principe, un acte volontaire et ne peut
être imposée. L'article 50
de la Constitution prévoit cependant les cas dans lesquels le Premier ministre
doit présenter obligatoirement sa démission, lorsque l'Assemblée nationale
désapprouve le programme du Gouvernement en exprimant sa méfiance ou
lorsqu'elle adopte une motion de censure. Cette démission obligatoire n'est que
l'un des éléments de définition de tout régime parlementaire. L'histoire
de la Vème république est néanmoins riche de cas de démissions « ardemment
souhaitées » par le Président de la République, sans que le Premier ministre puisse
vraiment résister; les exemples de M. Debré en 1962, de G. Pompidou en 1968, de
J. Chaban-Delmas en 1972, de M. Rocard en 1991 ou de M Raffarin en 2005
illustrent ce phénomène. Il est cependant plus difficile, sinon impossible,
pour un Président de la République, d'exiger la démission d'un Premier ministre
en période de cohabitation et les deux têtes de l'Exécutif sont condamnées à
vivre ensemble, comme l'ont montré MM. Chirac et Jospin entre 1997 et 2002.
En ce qui
concerne les autres membres du Gouvernement, ils peuvent, individuellement,
présenter leur démission, sans remettre en cause l'existence du Gouvernement.
La Constitution prévoit aussi que le Premier ministre peut proposer au
Président de la République de mettre fin aux fonctions des membres du
Gouvernement (art 8 al 2, exemple tout récent avec Benoit Hamon ou Aurélie
Filipetti): en règle générale cependant, les désaccords profonds au sein du
Gouvernement se résolvent par une démission « spontanée » de la part des
ministres. La Constitution ne fournit pas, en dehors du Premier ministre,
d'indications sur le nombre et la qualité des autres membres du Gouvernement.
Il n'y a pas, à la différence d'autres pays, une liste préétablie de ministres
dans la Constitution. Jusqu'à la
révision du 23 juillet 2008, la Constitution ne prévoyait que l'existence du
ministre de la justice en tant que vice-président du Conseil supérieur de la
magistrature (ancien art
65). Cette fonction ayant disparu depuis 2008, il n'y a plus de
référence constitutionnelle à un ministre en particulier. De même, le projet
loi constitutionnelle de 2008 avait prévu qu'une loi organique fixerait « le
nombre maximum des ministres et celui des autres membres du Gouvernement
(modification de l'article 8). Cette disposition n'a pas non plus été retenue
par les assemblées qui ont considéré que cette mesure était faussement utile et
contraignante.
Le nombre et la hiérarchie des membres de l'équipe gouvernementale restent donc très variables et obéissent à des raisons techniques mais aussi politiques. Les besoins nouveaux pris en charge par l'Etat ont conduit à diversifier et à multiplier les structures ministérielles: environnement, droits des femmes, francophonie, affaires européennes, immigration et identité nationale. Mais le nombre de ministres peut dépendre aussi du dosage politique entre les différents partis de la majorité ou du rôle que l'on veut donner à une personnalité politique. Malgré les efforts des différents Premiers ministres d'avoir autour d'eux des équipes restreintes, les Gouvernements de la Vème République comprennent entre trente et cinquante membres, selon les cas.
Une hiérarchie peut exister entre les membres du Gouvernement: celui-ci peut comprendre des ministres d'Etat, dont le titre est surtout devenu honorifique, des ministres de plein exercice et des secrétaires d'Etat auprès du Premier ministre ou d'un ministre. Les secrétaires d'Etat ne participent aux réunions du Conseil des ministres que si une question intéressant leur département ministériel est à l'ordre du jour.
Si la Constitution laisse libre les autorités de nomination en ce qui concerne le nombre et la qualité des ministres, elle est en revanche plus stricte quant au statut des membres du Gouvernement. Ceux-ci bénéficient d'un statut particulier à la fois protecteur et contraignant. L'article 23 fixe en effet des cas d'incompatibilité: la participation au Gouvernement est un acte politique important qui exige un grand engagement rendant incompatible l'exercice de tous les emplois publics et privés et la fonction ministérielle. La Constitution de 1958 a innové en introduisant une incompatibilité entre cette fonction et un mandat parlementaire, au nom de la séparation des pouvoirs. Un ministre qui quitte le Gouvernement ne retrouvait donc pas automatiquement son siège de député ou de sénateur. Cet état du droit a duré jusqu'en 2008, malgré une première tentative pour y mettre fin en 1974.
Depuis la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article
25 modifié, qui traite des suppléants des députés et des sénateurs, dispose que
la loi organique (qui n'est pas encore adoptée mais qui doit l'être rapidement)
doit prévoir les conditions du remplacement temporaire des députés et des
sénateurs lorsqu'ils ont accepté des fonctions gouvernementales. Cette
disposition mettra fin aux élections partielles et aux risques politiques que
celles-là peuvent faire courir à une majorité. Cette innovation devrait
peut-être conduire plus de parlementaires à accepter des fonctions
ministérielles, ou à les conserver et elle devrait faciliter les remaniements
ministériels voire les changements de Gouvernement. La solidarité
ministérielle, en revanche, peut en souffrir, le risque de perdre son
portefeuille ministériel étant moins « coûteux ». Cette incompatibilité
faisait de la France un cas particulier au sein des régimes parlementaires. La
révision de 2008 la fait rentrer un peu plus dans le rang de régimes plus
traditionnels.
Les
membres du Gouvernement, y compris le Premier ministre, ne sont responsables,
pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, que devant
la Cour de justice de la République, juridiction créée par la révision
constitutionnelle du 27 juillet 1993, et composée de 15 juges, 12 parlementaires
élus en nombre égal par l'Assemblée nationale et par le Sénat et trois
magistrats de la Cour de la cassation. En dehors de cette responsabilité pénale
particulière, qui a très peu fonctionné jusqu'à présent, en dehors de l'affaire
du sang contaminé, les ministres sont responsables dans les conditions
ordinaires sur les plans civil et pénal.
Le Gouvernement est un organe collégial et solidaire. La solidarité est le fait d'endosser la responsabilité politique de tous les actes du Gouvernement par l'ensemble des membres de celui-ci. Elle s'exprime au moment de la démission du Premier ministre, mais elle se manifeste, plus quotidiennement, par les réunions du Conseil des ministres, en principe chaque semaine, le mercredi, sous la présidence du Président de la République. Il peut arriver que le Gouvernement se réunisse, sous l'autorité du seul Premier ministre, lors de séances de travail plus informelles, mais ces séances de travail ou séminaires gouvernementaux sont logiquement plus fréquents en période de cohabitation. De nombreuses réunions, plus ponctuelles, interministérielles, rythment le travail du Gouvernement, sur de sujets plus ou moins déterminés. Sur le plan du fonctionnement concret, le Secrétariat général du Gouvernement, sous l'autorité directe du premier ministre, joue un rôle essentiel de coordination et d'harmonisation des décisions et de suivi des textes.
La solidarité gouvernementale
s'exprime aussi par le contreseing que les ministres chargés de leur exécution
doivent apposer sur tous les actes du Premier ministre, selon l'article 22: par cette
signature, les membres du Gouvernement manifestent leur adhésion à des
décisions politiques arrêtées collectivement.
II - Les attributions du Gouvernement
La
Constitution confère concrètement au Gouvernement de très nombreuses
attributions. Celles-ci ne sont pas exercées de la même manière si le Président
de la République et le Premier ministre appartiennent à la même majorité ou
s'ils sont conduits à cohabiter.
1- Fait Majoritaire
Dans le
premier cas, le Gouvernement peut être amené à appliquer des décisions prises
ou inspirées par le Président de la République et à traduire concrètement les
choix politiques de ce dernier.
2- Cohabitation
Dans le
second cas, le Gouvernement dispose d'une plus grande marge de manœuvre et l'article 20, qui prévoit que le
Gouvernement « détermine et conduit la politique de la nation », trouve à
s'appliquer pleinement. Les propositions avancées en 2007 visant à
réécrire les articles 5 et 20, ce qui aurait permis au Président de la
République de « déterminer la politique de la nation » en laissant au
Gouvernement le seul soin de la « conduire », entraînant ainsi une répartition
hiérarchisée de leurs fonctions, se sont heurtées à la résistance du chef du
Gouvernement et le texte, quelle qu'en soit sa pratique, n'a pas été modifié
sur ce point.
La
modification proposée de l'article 21 s'inscrivait dans cette nouvelle logique
de répartition des rôles. Il s'agissait de traduire dans le texte
constitutionnel une réalité qui jusqu'alors ne trouvait sa justification que
dans le « domaine réservé ». Il est vrai qu'en matière de défense, le président de la République dispose d'une
prééminence incontestable : chef des armées ( art 15) il est aussi le détenteur de la force
nucléaire dont il peut seul faire usage (D. n° 96-520, 12 juin 1996, JO 15 juin
1996, p. 8921). Même en période de cohabitation, le Premier ministre a
eu tendance à admettre cette prédominance comme ce fut le cas, par exemple, de
Jacques Chirac sous la présidence de François Mitterrand. Alors qu'il était
proposé de remplacer la formule « Il (le Premier ministre) est responsable de
la défense nationale » par « Il (le Premier ministre) met en œuvre les
décisions prises au titre de l'article 15 en matière de défense nationale »,
cette innovation ne se retrouve pas dans le texte promulgué, la diminution
générale des attributions du Gouvernement n'ayant pas été retenue dans
l'article 20. Depuis 1958, la Constitution a bien fonctionné en matière de
défense nationale, y compris pendant la cohabitation ».
Mais
quelle que soit le cadre politique des rapports entre les deux têtes de
l'Exécutif, les pouvoirs nominaux du Gouvernement et ceux du Premier ministre,
c'est-à-dire ceux énumérés par la Constitution, sont importants, et illustrent la volonté de la Constitution de
1958 de faire du Gouvernement l'organe central des institutions de la Vème
République. C'est bien au Gouvernement que revient la définition des
orientations politiques.. Le chef du Gouvernement est à la tête de
l'Administration d'Etat et il reste responsable de la défense nationale: il
dispose du pouvoir réglementaire,
c'est-à-dire de celui de prendre les mesures générales d'exécution des lois ou
même en dehors de celles-là.
Le
Gouvernement et son chef peuvent aussi s'appuyer sur la majorité qui les
soutiennent à l'Assemblée nationale et, éventuellement, au Sénat, comme il est
logique dans un régime parlementaire, le Premier ministre étant alors le chef
naturel de cette majorité parlementaire, même s'il est rarement le chef du
parti majoritaire sous la Vème République, à la différence des véritables
régimes parlementaires de type britannique ou allemand.
Dans un
régime parlementaire, le Gouvernement joue un rôle essentiel dans les relations
entre les pouvoirs exécutif et législatif, notamment dans le cadre de la procédure législative. C'est ainsi
que le Gouvernement dispose de très
nombreux moyens d'orienter, d'accélérer ou de freiner la discussion des textes
lors de la procédure législative devant les assemblées. De même, celui
conserve la compétence de légiférer par
ordonnances.
Les pouvoirs que le Gouvernement
peut exercer dans le cadre de la procédure législative ont subi, par la
révision du 23 juillet 2008, d'importantes modifications dans le but affiché de
restaurer les pouvoirs du Parlement et, par voie de conséquence, dans celui de
limiter ceux du Gouvernement. Le parlementarisme rationalisé qui caractérisait
la Vème République paraît alors un peu affaibli. C'est ce qui ressort de la rédaction nouvelle des
articles 48 (la fixation de l'ordre du jour sera désormais partagée entre le
Gouvernement et le Parlement, en dehors des lois de finances et de financement
de la sécurité sociale), 42 (lors du débat en séance publique, ce n'est plus le
projet de loi tel que le Premier ministre l'a déposé qui sera discuté, mais le
projet tel qu'amendé par la commission.) 49 al 3 (restriction de l'utilisation
de l'engagement de responsabilité sur un texte à un seul texte par session , en
dehors des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale).
Mais, les nombreuses conditions et précautions prévues dans ces textes pourront
être de nature à ne pas brider excessivement l'action du Gouvernement. C'est la
pratique qui pourra déterminer si le Gouvernement a un ou beaucoup perdu du
fait de cette révision.