LA CONCEPTION CRIMINOLOGIQUE
LA CONCEPTION
CRIMINOLOGIQUE
La criminologie est une science qui étudie les
causes et les caractéristiques du phénomène criminel. Elle propose un savoir
sur le crime et un tableau d'ensemble des connaissances dans ce domaine.
C'est une discipline jeune et nouvelle et ce
qui en fait son grand intérêt c'est qu'elle est interdisciplinaire c'est-à-dire
prend en compte toutes les données dans les divers domaines qui concerne le
crime (la biologie, la sociologie, la psychopathologie, la psychanalyse) mais
aussi la pénologie, les sciences policières, le profilage criminel, la
victimologie.
La psychocriminalité encore appelée
criminologie clinique, a pour objet de déterminer les principes et les méthodes
à l'aide desquels il est possible:
- de connaître la personnalité du délinquant,
d'établir un diagnostic
- d'apprécier son état dangereux et l'état
dangereux prédélictuel.
- d'étudier le passage à l'acte et ses
conditions de réalisation
- de porter un pronostic sur les risques de
récidive
- d'informer sur les traitements existants et
les recherches en ce domaine
- de rechercher les liens agresseur-victime et
les conséquences en victimologie
I FACTEURS INDIVIDUELS, RÔLE DE LA PERSONNALITE
Trois ordres de facteurs personnels peuvent
jouer un rôle dans le passage à l'acte.
Les facteurs bio-anthropologiques (héréditaires
ou non), les facteurs psychopathologiques (troubles mentaux fixés ou évolutifs)
et les facteurs sociaux (éducation, milieu de vie, culture).
Lombroso a conçu le criminel comme une variante
de l'espèce humaine, comme étant différent des autres hommes. Aujourd'hui,
cette opinion est complètement rejetée. Etant donné, comme le précise Jean
Pinatel que
« dans tout homme, un délinquant sommeille, il
peut exister seulement entre le criminel et le non criminel, des différences et
non une structure »,
Olof Kinberg a justement souligné que
«l'humanité n'est pas divisée en deux groupes, les bons qui n'auraient jamais
de pulsion et les mauvais qui en auraient et commettraient des actes qualifiés
coupables par la loi pénale»
Il affirme de plus, conforté en cela par les
découvertes de la psychanalyse concernant l'inconscient, que
«Ce serait une erreur grave que de croire que
les individus qui commettent, parfois ou souvent, des actes asociaux ou
criminels soient forcément autres que les individus qui n'en commettent pas»
On peut alors se demander, à juste titre, ce
que sont ces différences qui font passer à l'acte délinquant certains individus
et pas d'autres.
Il est possible de préciser une première
classification des criminels en référence à la psychopathologie (malades
mentaux ou atteints de troubles graves du caractère et de la personnalité,
individus déficients mentaux, alcooliques ou toxicomanes). Ils représentent une
minorité des cas (entre 3 et 5%).
Concernant les autres délinquants, les
criminologues ont tenté d'établir des typologies.
Le psychiatre belge Ch. Andersen a défini
cliniquement la personnalité criminelle comme étant « l'attitude commune à ceux
qui acceptent ou recherchent les situations qui les mettent en dehors ou en
opposition avec les normes admises par leur groupe»
Il a ainsi distingué:
- La personnalité criminelle vraie qui se
rencontre chez les sujets ne recherchant pas la réinsertion sociale et trouvant
leur sécurité dans la séparation, l'isolement et le détachement.
- La personnalité criminelle temporaire qui se
manifeste chez ceux dont l'acte résulte d'une situation particulière qui ne se
reproduira plus et qui réintègre le groupe social non rejeté.
Si pour la psychanalyse, la personnalité est
une organisation dynamique dans laquelle pulsions et défenses entrent en jeu,
pour le criminologue De Greeff, la personnalité est évolutive dans certaines
limites. De son côté, Garofalo, auteur du premier ouvrage intitulé « Criminologie
» en 1885, propose deux concepts opérationnels qu'il dénomme témibilité et
adaptabilité.
Ce terme de témibilité a ensuite été repris
sous le terme de « capacité criminelle ».
La personnalité criminelle a par la suite été
définie en fonction de traits de personnalité que l'on retrouvait
systématiquement dans toutes les recherches et qui serait constituée de quatre
éléments s'imbriquant les uns dans les autres et constituant un « un noyau
central de la personnalité criminelle et gouvernant le passage à l'acte ». Les
autres variantes de la personnalité influenceraient seulement les modalités de
l'acte (sa direction, sa réussite, ses raisons apparentes)
Le Noyau de la personnalité criminelle (selon
Jean Pinatel) est constitué des traits suivants :
- Egocentrisme : incapacité de juger un problème moral à un
point de vue autre que personnel, (réactions d'innocence avec autolégitimation
de sa conduite) et envers autrui (attitudes critiques et accusatrices,
sentiment d'injustice subie), incapacité à se décentrer. L’égocentrisme se
manifeste au niveau du jugement.
Attitudes rendant compte d'un défaut
d'inhibition vis-à-vis de l'opprobre social.
- Labilité ou Impulsivité: dysharmonie entre l'intelligence et
l'affectivité, encore appelée immaturité affective avec incapacité à profiter
des expériences, à s'organiser dans la durée. C'est un défaut de l'instinct de
conservation avec prédominance du principe de plaisir sur le principe de
réalité. L'impulsivité est une composante de la personnalité délinquante chronique.
Dans le processus d'acte grave, l'organisation dans la durée est éclipsée et
parfois absente.
Plus finement, la labilité doit être
distinguée, d’une part de l’impulsivité (décharge d’affect au niveau de l’agir)
et de l’instabilité (besoin excessif de mouvement, puérilisme).
La labilité est essentiellement recherche d’une
satisfaction immédiate.
- Agressivité: dans son aspect physiologique, elle est une
pulsion motrice vers la maîtrise de l'environnement. Dans son aspect
pathologique, elle est une hostilité destructrice qui peut d'ailleurs être
tournée vers soi même (suicides, mutilations, toxicomanies). Chez certains
individus, elle est caractéristique de la violence pour arriver à ses fins.
L'agressivité diminue avec l'âge, en particulier après trente cinq ans. Elle
peut émerger momentanément sous l'influence de facteurs physiques (faim),
affectifs (passion), sociaux (conflits).
Dans son aspect dynamique, c’est une force
motrice pour l’action. Elle reste un phénomène bio-psycho-social. Son origine
réside dans l'instinct (Freud), la frustration et la culture ( Hugues
Lagrange). L'urbanisation et l'alcoolisme l'amplifient.
- Indifférence affective: caractérisée par l'absence d'émotions et
d'inclinaisons altruistes et sympathiques, froideur vis-à-vis du prochain. On
l'a nommée insensibilité morale ou inaffectivité foncière. Elle peut résulter
de carences éducatives ou de déficit constitutionnel.
On la rencontre dans l'inhibition affective de
l'homicide utilitaire et le désengagement affectif de l'homicide passionnel. La
connexité de l'égocentrisme et de l'indifférence affective ne veut pas dire
qu'il y ait identité entre eux, mais simplement que ces traits ont des effets
communs et en particulier l'inadaptation à la personnalité des autres. Tous
deux sous-tendent également l'absence ou l'insuffisance de culpabilité vécue
par le sujet: l'égocentrisme influençant le jugement porté sur l'acte éventuel
(comportement d'autojustification systématique) et l'indifférence affective
empêchant d'éprouver l'odieux de son exécution et les conséquences pour autrui.
Gina Lombroso dans la parution de son ouvrage «
l'âme de la femme », chez Payot en 1929, a mis en lumière l'altérocentrisme de
la femme. Elle a ouvert la voie à l'explication de la sous-représentation de la
femme dans le domaine de la criminalité.
Le concept de personnalité criminelle combiné
avec celui d'adaptabilité pourrait rendre compte des principaux modes de
comportement délinquantiel.
J.Pinatel fait remarquer que le concept
d'adaptabilité (défini par Garofalo) se situe essentiellement dans le champ
social puisqu'il s'agit de la capacité à s'intégrer durablement dans la société
au niveau du travail, de la famille, des relations affectives et sociales.
On pourrait ainsi définir quatre types de
comportement spécifique:
1 A une capacité criminelle forte, associée à
une adaptabilité forte, correspond le délinquant actif mais se contrôlant bien,
dangereux pour la société du fait de la gravité des infractions qu'il commet
mais difficile à appréhender et à poursuivre. C'est le type de délinquant
organisé dont la forme la plus moderne est le délinquant économique mais c'est
aussi le grand délinquant « ennemi public » ( type Al Capone , Mesrine).
2 A une capacité criminelle forte, associée à une
adaptabilité faible, correspond le délinquant actif, passant facilement à
l'acte donc multirécidiviste et sans organisation suffisante, donc souvent
pris. C'est le type
« délinquant d'habitude ».
3 A une capacité criminelle faible, associée à
une adaptabilité faible, correspond le sujet passant rarement à l'acte mais
très vulnérable aux facteurs événementiels et facilement poursuivis. Il a le
profil de l'exécutant, du
« suiveur » dans la bande délinquante
organisée. Ces délinquants constituent une part importante de la population
pénitentiaire.
4 A une capacité criminelle faible, associée à
une adaptabilité forte, correspondrait le sujet dit «normal », bien intégré
dans le système social dans lequel il se trouve, ne passant à l'acte que de
manière accidentel (délinquant occasionnel) ou unique (délinquant passionnel).
Au plan pénal, où l'on distingue culpabilité et
imputabilité, la capacité criminelle conditionne la culpabilité tandis que
l'adaptabilité conditionne l'imputabilité.
Cette conception criminologique présente un
grand intérêt mais il ne faut pas sous estimer d'autres facteurs psychologiques
comme la force des pulsions et la faiblesse du moi dans certaines situations
inhabituelles.
2 FACTEURS EVENEMENTIELS ET RÔLE DES SITUATIONS
Pour un certain nombre de sujets, c'est la
rencontre entre leur personnalité et une situation donnée qui conditionne la
passage à l'acte, soit que l'adaptabilité soit faible (délinquants d'habitude)
soit que la situation soit particulièrement prégnante (délinquants passionnels)
C'est dire l'importance de l'étude des
situations auxquelles peuvent se trouver confrontés les individus
antérieurement à leur passage à l'acte.
O.Kinberg décrit ces situations sous le nom de
« situations précriminelles » Il considère que « le comportement des hommes est
déterminé par leurs tendances réactionnelles et les excitants agissant sur eux
». Il faut donc rechercher dans les situations précriminelles, les excitants
qui ont pu agir sur le délinquant. Kinberg distingue ainsi trois types de
situations:
- les situations spécifiques ou « dangereuses »
Ce sont celles où l'occasion de commettre un
crime est toujours présente. Le délinquant n'a pas besoin de chercher une
occasion ou d'en créer les conditions.
Sa personnalité animée d'une pulsion d'un
certain genre en liaison avec quelques circonstances appartenant au milieu est
sollicitée pour commettre l'acte délinquant.
C'est le cas du père incestueux, de la famille
pathologique au long cours, de l'alcoolique violent envers une épouse soumise,
du comptable peu honnête, du joueur invétéré.
- les situations non spécifiques ou « amorphes
»
Ce sont celles où l'occasion de commettre un
délit n'est pas présente mais doit être recherchée, ce qui exige un plan, la
reconnaissance des lieux, le choix des complices..
- les situations mixtes.
Elles se retrouvent au sein des bandes
organisées où le chef se trouve en situation amorphe, c'est-à-dire qu'il
organise les conditions de son méfait tandis que les complices exécutants se
retrouvent projetés dans une situation dangereuse où leurs pulsions sont mises
à contribution et stimulées pour agir (cambriolages, braquages ou homicides)
Ce qu'il faut surtout retenir c'est l'utilité
de l'approche du complexe personnalité-situation car il forme une totalité
fonctionnelle.
3 MOTIVATIONS ET FACTEURS DU CRIME
Les rouages de la pensée et de l'action ne
suffisent pas à expliquer les comportements, il faut aussi comprendre pourquoi
les humains font ce qu'ils font ou pourquoi ils pensent le faire.
La motivation: Il est impossible d'imaginer la vie sans
motivation car elle est à la base des comportements et ne peut être comprise
que par rapport à l'instinct.
Un instinct est un comportement automatique et
involontaire qui n'a pas fait l'objet d'un apprentissage et survient en
réactions à un stimulus spécifique. L'être humain a plusieurs types d'instinct,
comme l'instinct de survie et l'instinct maternel. Nos instincts nous motivent
dans le sens où nous faisons ce que nous faisons parce que nous devons le
faire. Nous le faisons de façon automatique et involontaire.
Les instincts peuvent être classés en fonction
de leurs objectifs respectifs. Chaque instinct oriente le comportement en vue
de la réalisation d'un objectif précis, comme la survie.
McDougall a identifié de nombreux instincts en
identifiant d'abord leurs objectifs, notamment ceux qui consistent à élever un
enfant, à chercher de la nourriture et à s'accoupler.
De nombreuses études concernant l'instinct ont
été réalisées sur des animaux.
Par exemple, pourquoi les oies sauvages volent
—elles vers le sud avant l'hiver ? sinon en raison de leur instinct. Konrad
Lorenz a longuement observé les comportements instinctifs des animaux, c'est
une approche éthologique de la motivation et d'après Petri, un éthologiste,
tout comportement instinctif est une réaction à un stimulus-clé.
Chez l'animal, un stimulus-clé peut provenir de
l'environnement ou d'autres membres du groupe (phénomènes de déclenchement)
Les comportements provoqués par un stimulus-clé
sont des formes spécifiques de conduite, invariables et automatiques.
Konrad Lorenz a identifié ce qu'il a appelé
l'empreinte c'est-à-dire l'instinct qui lie un jeune animal à celui qu'il
reconnaît comme parent.
Certains criminels paraissent réagir en
fonctions de stimulus-clé provenant de l'environnement ou d'autres membres du
groupe ( par exemple prendre ce qui est à portée de main, pousser
automatiquement une porte, agresser instinctivement une femme, arracher le sac
d'une personne vulnérable. Aux questions sur leurs motivations, ils répondent «
que c'était instinctif».
La théorie de Clark Hull désignée sous le nom
de «théorie pulsionnelle » considère que l'individu est soumis à une
pulsion (instinct) qui le pousse à satisfaire ses besoins.
Les besoins seraient générés par deux facteurs:
l'homéostasie (besoins satisfaits et équilibre atteint) et la restauration de
l'équilibre (besoins non satisfaits, nécessité de retrouver rapidement
l'équilibre). Il existe deux sortes de pulsions :
- les besoins biologiques (pulsions primaires)
la faim, la soif, le sommeil, le besoin sexuel. - les besoins secondaires qui
résultent de l'éducation, de la culture, de la société.
Ces pulsions secondaires acquièrent de
l'importance quand elles sont associées aux pulsions primaires. Dans ce cas,
elles présentent la même exigence et tyrannie que les besoins primaires. C'est
les cas lorsque le besoin d'argent est greffé sur la pulsion orale ou la
pulsion sexuelle.
Beaucoup de besoins secondaires sont ainsi (par
conditionnement des médias par exemple) associés étroitement aux besoins
primaires et leur satisfaction est devenue nécessaire pour ressentir
l'homéostasie et l'équilibre.
La théorie de la motivation de Abraham Maslow affirme que les motivations
proviennent d'un ensemble de besoins à satisfaire qu'il a classés selon une hiérarchie:
- premier niveau (bas de la pyramide) : besoins
physiologiques (nourriture, eau, sommeil)
- deuxième niveau: besoin de sécurité (abri et
protection)
- troisième niveau : besoin d'appartenance
- quatrième niveau : besoin d'estime
(situations renforçant l'estime de soi)
- cinquième niveau (sommet de la pyramide)
besoin d'accomplissement (référence au besoin de se dépasser et de vivre avec
un niveau de conscience de soi élevé, recherche d'une sensation de satisfaction
intense)
La théorie de l'excitation maximisée rend compte du fait que la pulsion au lieu de
pousser à réduire les besoins, les exacerbe jusqu'au niveau maximum. Ainsi le
besoin de satisfaire la faim peut être exacerbé jusqu'à la nécessité
d'ingurgiter une trop grande quantité de nourriture (boulimie, voracité) sans
que l'homéostasie et l'équilibre ne parviennent à être obtenus.
C'est parfois le cas de pervers sexuels dont le
niveau d'excitation sexuelle est maximal et ne leur permet jamais d'atteindre
la satisfaction d'où la reproduction d'actes d’agressions sexuelles à
répétition.
D'après la loi de Yerkes et Dodson,
l'excitation ne doit pas être maximale mais optimale pour être compatible avec
la performance.
La théorie de l'incitation, liée à la théorie de l'attente affirme que la
motivation est en rapport avec l'espoir d'une récompense et l'évitement des
expériences négatives.
L'espoir d'un gain important lors d'un hold up
peut être une motivation importante.