Commentaire de l’arrêt cass, civ 1ère, 27 janvier 1993
« Eviter
que l’auteur malheureux d’un acte de dévouement ne fasse à lui tout seul les
frais de l’opération ». Voilà comment A. Sériaux définit le rôle de la
création prétorienne de convention d’assistance bénévole. Ce contrat formé
uniquement au fil de la jurisprudence désigne les situations de fait où une
personne rend un service à une autre à titre gratuit et en dehors de toute
volonté contractuelle. C’est en cas de dommage de l’assistant où il a fallu
déterminer quelle responsabilité délictuelle ou contractuelle était en jeu, la
jurisprudence ayant opté pour la responsabilité contractuelle sans réel
fondement juridique. C’est sur cette question de la convention d’assistance
bénévole que la 1ère chambre civile de la cour de cassation a eu à
nouveau à se prononcer le 27 janvier 1993.
En l’espèce, un
homme aide son frère à abattre un arbre dans sa propriété mais elle est blessée
par une tronçonneuse électrique qu’il utilisait. La caisse de sécurité sociale
lui verse alors des prestations mais exerce un recours contre l’assureur du
frère sur le fondement de la garde de l’appareil. Cette assurance s’oppose à la
demande car la police souscrite par son assuré ne couvre pas les risques de sa
responsabilité contractuelle. L’assurance de la victime engage alors une
instance en justice. Après un jugement de première instance, un appel a été
interjeté. La cour d’appel condamne l’assurance de l’assisté à réparer
solidairement avec lui le préjudice de la victime aux motifs que même s’il
existait entre les deux frères une convention de bienfaisance unilatérale, mais
que l’assureur ne précisant pas le
manquement contractuel qui pouvait être reproché à l’assisté il fallait
appliquer la responsabilité quasi-délictuelle sur le fondement de la
responsabilité du fait des choses dont on a la garde. Deux thèses s’opposent
alors et amènent à s’interroger : en cas de convention d’assistance
bénévole, la personne assistée engage-t-elle sa responsabilité contractuelle
pour les dommages causés à l’assistant ?
A cette
question la cour de cassation répond par l’affirmative, elle casse et annule
l’arrêt de la cour d’appel aux motifs que les textes sur la responsabilité délictuelle
sont inapplicables à la réparation d’un dommage se rattachant à l’exécution
d’un engagement contractuel et qu’une convention d’assistance emporte
nécessairement l’obligation pour l’assisté l’obligation de réparer les
conséquences des dommages corporels subis par celui auquel il a fait appel.Cet
arrêt est donc une illustration de la création prétorienne de la convention
d’assistance bénévole et en précise le régime (I) mais le raisonnement que la
cour tient pour qualifier l’aide de contrat est critiquable à plusieurs égards
(II).
I-
La convention d’assistance bénévole, la consécration juridique du
« coup de main »
La convention
d’assistance bénévole a été élaborée dès 1959 avec des arrêts postérieurs qui
ont précisé son régime juridique (A). L’arrêt du 27 janvier 1993 participe
aussi de cette logique en fixant les contours de l’obligation de sécurité de
l’assisté dans ce type de contrats (B).
A.
La confirmation d’une jurisprudence déjà ancienne
La
convention d’assistance bénévole est une création du juge judiciaire qui
désigne un contrat synallagmatique (obligation d’aide d’une part et
d’indemnisation d’autre part), à titre gratuit, innomé et consensuel et régit
les situations où une personne vient en aide à une autre sans contrepartie. La
création purement prétorienne de ce type de convention s’explique par
l’insuffisance de la responsabilité délictuelle lorsque la victime ne peut
établir ni faute ni fait de la chose de celui à qui elle est venue en aide.
Ce
contrat a été créé par la 1ère chambre civile de la cour de
cassation le 27 mai 1959 sans être nommé de la sorte. Dans cet arrêt, la cour a
éliminé des qualifications qui étaient impropres à régler le litige en présence
pour opter pour l’existence d’un contrat entre la personne aidée et son
assistant. Elle retient l’existence d’une convention de bienfaisance
unilatérale. Il faut préciser que la convention ainsi qualifiée dépend de
l’appréciation souveraine des juges du fond qui ne la retiennent pas en cas de
transport bénévole mais la retiennent en cas d’exécution de prestations de
service gratuit. Une question demeure : peut-on rattacher le dommage subi
par l’assistant à l’inexécution d’une obligation ne de ce contrat à laquelle
l’assisté eût manqué ? Cet arrêt posait en outre des difficultés quant au
caractère synallagmatique du contrat innommé mais reconnu comme existant entre
une personne assistée et son assistant.
L’arrêt
du 1er décembre 1969 qui crée sous ce nom la convention d’assistance
bénévole règle ce problème : l’acceptation de l’assisté importe peu, en
particulier en cas de sauvetage, puisque dans ce contrat l’élément important
est l’intérêt de l’assisté. La cour précise également cette fois que la
responsabilité contractuelle doit toujours s’appliquer en cas de convention d’assistance,
même s’il n’existe ni manquement ni faute. Enfin, l’arrêt énonce déjà les grandes lignes du principe développé
dans l’arrêt du 27 mai 1993 en retenant que la convention d’assistance source
de responsabilité contractuelle fait naître à l’égard de l’assisté
« l’obligation de réparer les conséquences des dommages corporels subis
par celui auquel il a fait appel », restreignant le champ de réparation
d’un arrêt de 1963 qui acceptait tout type de dommage. A cet égard, l’arrêt de
1993 crée les contours d’une nouvelle obligation de cette convention : une
obligation de sécurité.
B.
Une innovation : la création d’une obligation de sécurité
En
énonçant « une convention d’assistance emporte nécessairement pour
l’assisté l’obligation de réparer les conséquences des dommages corporels subis
par celui auquel il a fait appel », la cour de cassation a entendu créer
une obligation de sécurité pour l’assisté comme il en existe dans des contrats
conclus avec des professionnels. Les
juges dès 1969 pour établir cette obligation implicitement se basait de manière
contestable sur l’équité. Mais l’obligation de sécurité ne se justifie
normalement dans le cadre d’une convention d’assistance bénévole que si
l’exécution du contrat expose le créancier à des risques de dommages qu’il
paraît opportun de faire réparer au débiteur des prestations. La cour apporte
dans l’arrêt de 1993 une règle de portée générale afin d’éviter une
jurisprudence casuistique qui accepterait les cas de sauvetage et exclurait les
cas comme celui de l’espèce, se basant sur les dangers encourus par
l’assistant. L’obligation de réparer les dommages corporels se différencie
cependant de l’obligation traditionnelle de sécurité. C’est en effet une
obligation de sécurité de résultat qui
s’applique ici afin de pallier les insuffisances de la responsabilité
délictuelle en l’absence de faute. L’équité enfin ne rend pas seulement
l’obligation de réparation opportune mais justifie que la victime soit
dispensée de prouver la faute de l’assisté
Mais les conséquences
de la création de cette obligation uniquement jurisprudentielle peuvent être
lourdes pour l’assisté qui ne serait pas assuré, c’est pourquoi certains
auteurs comme G. Durry envisagent de recourir à des fonds publics pour réparer
le préjudice subi par l’assisté, idée cependant difficile à envisager dans un
contexte de crise économique.
Ainsi,
notamment à cause de la qualification de contrat de la convention d’assistance
bénévole et par la généralité de l’obligation de sécurité l’arrêt de 1993 est
au cœur des critiques des auteurs de doctrine.
II-
La convention d’assistance bénévole, une création prétorienne
contestable
L’arrêt du 27
janvier 1993 et la convention d’assistance bénévole en général ont été
critiquées à cause de la qualification contractuelle qui est purement
artificielle et ne se base pas sur des fondements juridiques solides (A), mais
malgré ces limites, la théorie de la convention d’assistance bénévole est
toujours utilisée et a été précisée postérieurement à cet arrêt (B).
A.
Une qualification contractuelle artificielle
En
1959, la cour de cassation a émis des hésitations à admettre l’existence d’une
convention d’assistance pour donner un fondement contractuel à la réparation.
Alors que cette assimilation de la convention d’assistance bénévole a été jugée
bienvenue pour certains auteurs comme C. Roy-Loustaunau, elle a été critiquée
par d’autres comme R. Bout qui aurait préféré une qualification de services
gratuits en particulier pour l’arrêt du 27 janvier 1993. Afin de comprendre le
raisonnement de la cour de cassation et évoluer la portée de cet arrêt il
convient de vérifier les uns après les autres les critères qui permettent la
qualification contractuelle. La première
question concerne l’existence d’un contrat et se subdivise : existe-t-il
un accord de volontés entre les parties ? En l’espèce, sans aucun doute
car le frère de l’assisté avait proposé de l’aider et l’assisté y avait alors
consenti. Le droit donne-t-il à cet accord de volontés la qualification de
contrat ? C’est là où se situe la difficulté principale car rien dans les
articles 1101 et suivants du code civil régissant les contrats ne semblent
établir une catégorie de contrat régissant les rapports entre particuliers
simplement soucieux de se rendre un service. Si l’on admet que la cour a retenu
à raison cette réponse, les autres questions (le fait générateur du dommage
s’est-il produit à un moment où le contrat a été déjà formé, le contrat est-il
valable, le contrat a-t-il été passé entre l’auteur et la victime) ne posent
pas de problème à l’exception de la dernière qui vise à se demander si le
dommage se rattache à une obligation inexécutée du contrat.
En
effet, la convention d’assistance bénévole contient-t-elle obligatoirement une
obligation de sécurité corporelle ? Pas forcément comme le souligne G.
Viney, F. Chabas et M. Fabre-Magnan. L’obligation de sécurité en effet est
toujours rattachée à une obligation principale comme obligation accessoire,
mais en l’espèce il n’existe pas d’obligation principale pour l’assisté à
laquelle elle puisse être rattachée. De plus, le « forçage » du
contrat, c’est-à-dire la qualification de contrat par la juridiction en dehors
de toute disposition textuelle n’est acceptable que si elle est justifiée par
la condition de répondre à un besoin impérieux de justice, et en l’espèce
nombre d’auteurs ont considéré que cet impératif était absent. En effet,
l’analyse contractuelle n’est pas indispensable à la réalisation de l’objectif
de protection des auteurs des actes bénévoles : la gestion d’affaires des
articles 1372 et suivants du code civil aurait pu être utilisée comme le
souligne G. Bout, ainsi que la responsabilité délictuelle.
Enfin,
dans le cas d’espèce, la volonté des assureurs de ne pas couvrir la
responsabilité contractuelle de l’assuré ne peut s’analyser qu’en la volonté de
ne pas couvrir les risques économiques, ce qui n’est absolument pas le cas dans
la convention d’assistance bénévole. Ainsi la qualification et le régime
juridique de la convention d’assistance bénévole sont largement contestables
mais la jurisprudence continue d’utiliser cette création prétorienne et d’en
définir plus précisément le régime juridique.
B.
Un exemple d’une jurisprudence toujours d’actualité
Malgré
les critiques doctrinales concernant l’arrêt du 27 janvier 1993, il n’a pas
fait l’objet d’un revirement de jurisprudence mais au contraire la
jurisprudence postérieure n’a fait que préciser le régime juridique de la
convention d’assistance bénévole. Le premier arrêt significatif à cet égard est
celui du 16 décembre 1997 qui étend la responsabilité de l’assisté aux dommages
causés par l’assistant à autrui, que cet autrui soit ou non un autre assistant.
D’autres
arrêts confirment très récemment cette position et notamment celui de la cour
d’appel de Lyon du 4 mars 2014 qui limite la qualification de convention
d’assistance bénévole au cas où l’aide est apportée dans l’intérêt exclusif de
l’assisté. En l’espèce, la qualification de convention ne peut être retenue,
car les travaux de transformation effectués dans la maison étaient destinés à
la création d’un appartement que la victime devait par la suite occuper.
Toutefois,
à la suite de l’arrêt de la deuxième chambre civile de la cour de cassation du
3 octobre 2013, des professeurs de droit comme Matthieu Robineau professeur à
Orléans arrivent à la conclusion que la responsabilité contractuelle est
souvent bien moins protectrice que la responsabilité délictuelle pour les
victimes ; et que la cour de cassation commençait s’en rendre compte (à
propos non pas d’une convention d’assistance bénévole mais d’une entraide
agricole, Cass. 2ème civ., 17 nov. 2005). Ils qualifient la convention
d’assistance bénévole « d’ultime fondement pour la victime qui ne trouve
ni dans la responsabilité du fait personnel, ni dans la responsabilité du fait
des choses, ni dans la responsabilité du fait d’autrui une source de
réparation. ». Ainsi si l’on suit ces conseils, la convention d’assistance
bénévole ne devrait devenir qu’un fondement subsidiaire de réparation d’un
préjudice.
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