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lundi 24 septembre 2018

Commentaire d'arrêt société KPMG TD droit administratif

  droitenfrancais       lundi 24 septembre 2018


Commentaire d'arrêt société KPMG
TD droit administratif






TD droit administratif séance 4

Commentaire d'arrêt société KPMG

            « Le Conseil d'Etat consacre solennellement le principe de sécurité juridique ». Voilà comment s’intitulait le communiqué de presse qui suivit la décision de l'assemblée  plénière du Conseil d'Etat du 24 mars 2006 société KPMG. Cette affaire n'avait pas été jugée sans faire grand bruit. En effet, les scandales financiers notamment l'affaire Enron aux Etats-Unis avaient mis en évidence l'insuffisance du contrôle des comptes des grandes entreprises et les états avaient entrepris de renforcer la législation en la matière. C'est dans cet objectif qu'avait été votée la loi de sécurité financière du 1er août 2003 créant l'autorité des marchés financiers et annonçant une réforme de la profession de commissaire aux comptes, avec une séparation des fonctions d'audit et de conseil. Ces dispositions avaient pour effet qu'un organisme qui contrôle les comptes d'une entreprise ne peut en même temps lui prodiguer des conseils. La loi prévoyait également l'adoption d'un code de déontologie des commissaires aux comptes qui avait été approuvé par un décret en conseil d'état du 16 novembre 2005 après avis du haut conseil du commissariat aux comptes et de l'autorité des marchés financiers.C'est ce décret qui a fait l'objet, de la part des quatre plus grands réseaux spécialisés dans le contrôle et le conseil financiers, de requêtes aux fins de suspension et d'annulation. Les premières ont été rejetées par une ordonnance du 26 janvier 2006 (req. n° 288461) ; le juge des référés du Conseil d'Etat y a jugé que la condition d'urgence n'était pas remplie tout en invitant le juge du principal à statuer dans un délai de trois mois. Moins de deux mois plus tard, par une décision du 24 mars 2006, l'Assemblée du contentieux a statué sur les conclusions d'annulation.Devant le conseil d'état statuant au contentieux les grandes entreprises ont invoqué deux séries de moyen. D'une part elle ont invoqué une violation du droit communautaire : ils relevaient une atteinte à la libre-concurrence, à la liberté d'établissement et de prestation de service et le non-respect d'une directive. Ce moyen a été reconnu comme non fondé par le Conseil d'Etat par une  analyse dans la ligne de sa jurisprudence. D'autre part, elles ont invoqué la violation du droit national, en contestant la légalité externe du décret quant à la fixation par le premier ministre de la liste des conseils et services interdits aux commissaires aux comptes et la légalité interne par l'imprécision articles du code de déontologie. Contrairement à ce que lui proposait le commissaire du gouvernement, l'Assemblée du contentieux a fait droit à l'un de ces derniers moyens, tiré de ce que le décret contesté devait être annulé en tant qu'il s'applique immédiatement aux contrats en cours, et plus précisément en tant qu'il ne comporte pas de mesures transitoires relatives aux mandats de commissaires aux comptes en cours à la date de son entrée en vigueur. Elle a en effet estimé que, dès lors que la méconnaissance des nouvelles obligations était susceptible de faire l'objet de sanctions, il convenait de tenir compte des délais incompressibles de mise en œuvre de ces dispositions, en prévoyant une entrée en vigueur différée pour les contrats en cours.




Elle prononce donc une annulation partielle « en tant qu'il ne comporte pas de mesures transitoires », ce qui a conduit le 24 avril 2006 à l'adoption d'un décret laissant aux commissaires aux comptes un délai expirant le 1er juillet 2006 pour se mettre en conformité avec nouveau code de déontologie, ayant pour effet pratique de maintenir le décret attaqué en vigueur pour les mandats de commissaires aux comptes conclus à compter du 18 novembre 2005 mais de soustraire de son champ d'application les contrats en cours au 17 novembre 2005 - ce qui revient paradoxalement à neutraliser la rétroactivité pourtant légale de ce décret. Avec cette décision, le juge du Palais-Royal a eu l'occasion de se prononcer sur la valeur du principe de sécurité juridique en droit administratif, ce qui pose la question suivante :dans quelle mesure le conseil d'état dans l'arrêt KPMG consacre-t-il un principe général du droit ? L'arrêt KPMG dans son ensemble traite de plusieurs principes mais nous n'étudierons ici que ce qui concerne la sécurité juridique. Le Conseil d'Etat dans cet arrêt semble au premier abord consacrer la sécurité juridique comme principe général du droit, redonnant une vigueur particulière à une source du droit qui avait tendance à s'affaiblir (I) mais cette reconnaissance n'est que partielle et n'atteint donc pas le résultat escompté (II).

I-                  Une reconnaissance d'un principe « fondement de l'état de droit » : la sécurité juridique  (Conseil d'Etat, rapport annuel)

Le Conseil d'Etat dans cette décision procède à la reconnaissance du principe de sécurité en tant que principe général du droit (A) et impose en l'espèce l'adoption de mesures transitoires  par le pouvoir réglementaire (B).

A-  Une reconnaissance formelle d'un principe déjà en germe

            Pour comprendre la décision KPMG du Conseil d'Etat il faut d'abord se concentrer sur la valeur traditionnelle du principe de sécurité juridique en droit français. Il s'agit d'un principe issu du droit européen et plus spécifiquement du droit communautaire qui a été consacré d'une part par la CJCE comme principe général de droit communautaire depuis la décision Bosch (6 février 1962) et d'autre part par la CEDH comme principe « nécessairement inhérent au droit de la convention européenne comme au droit communautaire » (13 juin 1979, Marckx contre Belgique). Malgré cette reconnaissance en droit européen qui en vertu de l'article 55 de la Constitution s'impose en droit national, le Conseil d'Etat n'en admettait l'applicabilité qu'en tant que le litige relevait du champ d'application du droit communautaire (3 décembre 2001, syndicat national de l'industrie pharmaceutique). La section du rapport et des études en 1991 en parle cependant dans son rapport annuel. En 2006 la haute juridiction souligne que « la sécurité juridique constitue l'un des fondements de l'état de droit ». Autant d'éléments qui annonçaient une proche reconnaissance de la valeur de ce principe en droit administratif. Ces considérations théoriques sur la sécurité juridique avaient été renforcés par un certain nombre de décisions préalables à la reconnaissance formelle de l'arrêt KPMG. En effet, ce principe sous-tendait de nombreuses décisions du droit administratif en particulier au sujet des actes administratifs, ne pouvant pas être opposés à leur destinataire avant la réalisation des mesures de publicité appropriée (publication ou notification). C'est également le une conception plus étendue du principe de non-rétroactivité consacré par l'arrêt du 25 juin 1948 société du journal de l'aurore où le Conseil d'Etat réalisait une application partielle du principe de sécurité juridique. De même, le régime de l'abrogation et du retrait des actes administratifs en en limitant la possibilité en cas de droits acquis assure à la fois la stabilité des situations juridiques et la sécurité juridique de leur bénéficiaires, et ce principe avait été reconnu par le Conseil d'Etat dans la décision
Association AC ! . Malgré ces éléments le principe de sécurité juridique n'avait jamais été exprimé en tant que tel. Ainsi même si comme disait  Bernard Pacteau, mieux vaut « l'instillation dans notre droit d'une « perspective » de sécurité » plutôt que « l'émergence d'un « principe » de sécurité juridique », la doctrine demandait de manière insistance une reconnaissance de la valeur du principe de sécurité juridique en droit national. C'est chose faite avec l'arrêt du 24 mars 2006 qui énonce clairement la sécurité juridique mais n'énonce qu'implicitement sa valeur de principe général du droit. Cette affirmation peut sembler étrange car aucun principe général n'est en effet posé de manière explicite dans le considérant de principe de la décision. Le Conseil d'Etat se contente d'exiger du pouvoir réglementaire qu'il prévoie des dispositions transitoires en cas de changement de réglementation, spécialement lorsque sont en cause des situations contractuelles en cours légalement formées, précisant que cette exigence repose sur des « motifs de sécurité juridique », et évoque sans plus de précision le « principe de sécurité juridique » dans le considérant suivant.  On peut cependant dire avec certitude que le Conseil d'Etat élève la sécurité juridique au rang de principe et qu'à présent un moyen évoquant comme norme la sécurité juridique ne sera plus inopérant car en l'espèce  il censure une disposition réglementaire au motif qu'elle viole le principe de sécurité juridique. Il estime en effet que, s'agissant de l'application d'une loi susceptible de produire indirectement des effets sur des situations contractuelles en cours, antérieurement et légalement créées, l'autorité réglementaire se voit dans l'obligation, sauf à violer le principe de sécurité juridique, de créer des dispositions transitoires. Ainsi, de manière plus claire que le Conseil Constitutionnel, le Conseil d'Etat reconnaît que la sécurité juridique, dans ses deux dimensions, la qualité et la prévisibilité du droit, est dorénavant un principe majeur du droit français. 
On peut enfin noter que le Conseil d'Etat confirme rapidement dans des arrêts postérieurs la valeur de la sécurité juridique : la formulation sans équivoque de la sécurité juridique est renforcée par la rédaction de l'arrêt de section du 27 octobre 2006 société Techna et autres qui énonce que le« principe de sécurité juridique est reconnu tant en droit interne qu'en droit communautaire », même si le Conseil d'Etat ne prononce pas les mots « principe général du droit » contrairement aux arrêts Aramu et ministre de l'agriculture contre dame Lamotte. Une chose est sûre : le principe de sécurité juridique s'impose aux autorités administratives et en l'espèce justifie l'annulation partielle du décret, obligeant les pouvoirs publics à prendre des mesures transitoires pour l'entrée en vigueur du code de déontologie.





B-    L'exigence de mesures transitoires : une conception extensive du rôle du pouvoir réglementaire

            Avant de discuter la décision du Conseil d'Etat d'imposer aux pouvoirs publics pour la sécurité juridique l'adoption de mesures transitoires aux relations contractuelles en cours, il convient de rappeler les règles qui régissent l'application de la loi dans le temps. En effet selon l' article 1 du code civil toute disposition législative ou réglementaire entre en vigueur immédiatement . Mais la portée du principe d'entrée en vigueur immédiate doit être nuancé de deux manières : d'une part, les dispositions peuvent expressément ou implicitement retarder leur entrée en vigueur, ou avoir besoin de mesures complémentaires,comme cela est énoncé dans l'article 1 CC pour une disposition législative ou réglementaire. D'autre part, cela peut tenir à l'objet des dispositions nouvelles. Elles ne peuvent s'appliquer « aux situations régulièrement constituées sous l'empire des anciennes règles » (Mme Lacroix). Ainsi en est-il  des contrats légalement conclus et dont l'exécution se poursuit. Les dispositions réglementaires quant à elles ne peuvent être rétroactives sans être illégales (CE 21 mars 2012 EDF), et l'application de mesures nouvelles aux contrats en cours s'apparente à la rétroactivité (civ 1ère 29 avril 1960). Ce principe peut être écarté si l'ordre public, qui désigne des nécessités impérieuses notamment dans le domaine économique et social, l'exige. Il en est également autrement des contrats administratifs dont la rédaction est animée par l'idée d'intérêt public. En l'espèce les contrats conclus par les commissaires aux comptes relèvent des situations contractuelles de droit privé. Mais compte tenu de l'importance de l'objectif de transparence et de sécurité financière poursuivi par le législateur et de la nécessité de répondre rapidement au risque de crise conjoncturelle du secteur de l'audit et du contrôle suscitée par l'affaire Enron, l'Assemblée du contentieux a légitimement estimé que l'application des nouvelles règles posées par la loi et précisées par le code de déontologie ne pouvait être reportée à l'expiration de tous les contrats de commissariat aux comptes en cours, c'est-à-dire pendant une durée de six années s'agissant des contrats signés immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi. Cette rétroactivité peut être décidée par la loi aux conditions posées par le conseil constitutionnel : sans porter aux contrats une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté de l'article 4 de la DDHC. Il s'agit d'une nouvelle illustration de la théorie du bilan et du contrôle de l'adéquation des actes administratifs aux circonstances, qui constitue en fait un contrôle de proportionnalité. C'est à ce contrôle que ce livre le Conseil d'Etat le 24 mars 2006 lorsqu'il énonce « qu'à défaut de toute disposition transitoire dans le décret attaqué, les exigences et les interdictions qui résultent du code apporteraient, dans les relations contractuelles légalement institués avant leur intervention, des perturbations qui, du fait de leur caractère excessif au regard de l'objectif poursuivi, sont contraires au principe de sécurité juridique ».
Ainsi, désormais, mais dans les seuls cas où des motifs de sécurité juridique le justifieront, le pouvoir réglementaire pourra, même sans habilitation, reporter l'application de la loi. Comme l'avait noté Yann Aguila, cette solution ne sera en réalité pas tout à fait inédite : une décision Association « Collectif pour la défense du droit et des libertés » (CE 9 juillet 1993).
Mais plus encore, cette rédaction contestée par la doctrine, qui reproche au décret attaqué le caractère excessif des perturbations apportées aux relations contractuelles, peut sembler autoriser le pouvoir réglementaire non pas seulement à retarder dans le temps l'atteinte aux situations contractuelles mais à inventer un régime spécifique aux contrats en cours qui serait transitoirement moins sévère que les règles prévues pour les contrats à venir. En effet, la sécurité juridique serait évidemment mieux servie encore par le pouvoir réglementaire si ce dernier pouvait aménager le contenu d'une législation nouvelle pour qu'il soit le moins perturbateur possible des situations juridiques constituées. Toutefois, le principe de sécurité juridique ne peut avoir pour effet d'accroître le champ de ce que l'autorité réglementaire peut faire de façon autonome, Yann Aguila suggérant d'ailleurs seulement que le décret aurait pu laisser un délai aux réseaux d'entreprises d'audit et de contrôle pour faire le point sur leurs contrats en cours et en dénoncer certains afin de se conformer aux nouvelles règles d'incompatibilité. Il concluait à propos de l'arrêt KPMG qu'au « au fond les mesures transitoires sont à la sécurité juridique ce que les feu oranges sont à la sécurité routière... elles relèvent des règles de bonne conduite de l'action publique ». 

Ainsi le Conseil d'Etat consacre-t-il le principe de sécurité juridique et applique en l'espèce son corollaire qui est la nécessaire adoption de mesures transitoires mais des zones d'ombre subsistent quant à la portée de ce principe nouvellement « découvert ».






II-              Une reconnaissance jurisprudentielle contestable

Le Conseil d’Etat en découvrant le principe général du droit de sécurité juridique n’en a pas tiré entièrement les conséquences en refusant la consécration du principe de confiance légitime (A) et ne précise pas la portée du principe de sécurité juridique qu’elle consacre (B).

A-  L'omission volontaire du principe de confiance légitime


Pour comprendre la valeur de l’arrêt et les conséquences de son refus de consacrer la sécurité juridique il faut s’interroger sur les implications de ce principe. La sécurité juridique contient un aspect objectif dont on a traité précédemment et qui suppose d’une part que les actes administratifs ou législatifs soient intelligibles, ce que vérifie Le Conseil d'Etat dans l’arrêt société KPMG et d’autre part interdit la rétroactivité des actes administratifs et législatifs, et c’est précisément cette exception que met en oeuvre la décisionSté KPMG
Mais la sécurité juridique contient également un aspect subjectif qui implique que les administrés disposent d'un droit acquis au maintien d'une situation ; ce droit suppose que, en cas de changement brutal de la règle, les situations légitimement acquises par les administrés soient protégées. La confiance légitime est donc le corollaire logique du principe de sécurité juridique. Pourtant, le Conseil d’Etat s’obstine à ne pas vouloir la reconnaître en tant que principe. Il l’accepte lorsque la question posée relève du droit communautaire, mais hors de ce champ le moyen de confiance légitime est inopérant (CA ass 5 mars 1999 Rouquette). Le Conseil d’Etat quelque part ne fait que rejoindre la position du conseil constitutionnel selon lequel « aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de confiance légitime » (7 nov 1997). Mais on aurait pu penser que le conseil d’état ouvrait une porte vers la reconnaissance de la confiance légitime car elle admettait l’existence d’une espérance légitime en matière fiscale (CE plen fisc 9 mai 2012).Mais qu'a fait pourtant le Conseil d'Etat en exigeant du pouvoir réglementaire qu'il prévoie des règles de droit transitoires si ce n'est donner une valeur juridique en droit interne à un effet du principe de confiance légitime qui n'avait aucun équivalent véritable en droit français ?Le juge du Palais-Royal  montre que le principe de sécurité juridique englobe celui de confiance légitime, qui n'est pas invocable en tant que tel mais qui constitue le cœur du raisonnement du juge administratif.
Ce principe de confiance légitime est d’ailleurs inhérent à certaines jurisprudences bien établies. Par exemple, l'arrêt d'Assemblée Ternon du 26 octobre 2001 a pu être décrit par la juridiction administrative elle-même comme posant « les modalités particulières de protection de la confiance légitime que constituent les règles du droit interne selon lesquelles les décisions pécuniaires créatrices de droit ne peuvent être retirées au-delà d'un délai de quatre mois ». Le problème qui se pose est la délimitation même du droit communautaire, et la difficulté est de savoiir s’il s’agit d’une situation entrant dans le champ d'application de ce droit ou, de façon plus restrictive, une situation découlant de la mise en œuvre de ce droit. De manière plus large on peut considérer que la non-reconnaissance du principe de sécurité juridique implique une non effectivité du droit communautaire en droit interne. Certes, il ne fait aucun doute que, comme tout principe général du droit, celui de sécurité juridique, et partant la confiance légitime qu'il véhicule, a une valeur supérieure aux actes administratifs : dans l'affaire Sté KPMG, le décret du 16 novembre 2005 a été confronté au respect de ce principe. Mais dans l'affaire Sté KPMG, le code de déontologie n'avait pas été pris pour la mise en œuvre du droit communautaire et le Conseil d'Etat a en conséquence jugé inopérant le moyen tiré de la violation du principe communautaire de confiance légitime. Or, les principes généraux du droit communautaire, qui sont reconnus par l'article 6 UE, devraient s'imposer aux actes nationaux de la même manière que les dispositions « matérielles » du traité, donc le principe de confiance légitime devrait avoir un effet direct sur le droit interne.
En partant de ces considérations, on peut même se demander si la confiance légitime n’aurait pas une valeur constitutionnelle, à l'instar du principe de non-rétroactivité en matière répressive ou de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ? Il faut dire qu’il n’y a pas eu de reconnaissance du principe de sécurité juridique par le conseil constitutionnel, donc encore moins de confiance légitime. On peut donc se demander si le conseil constitutionnel pourrait se baser sur ces principes pour censurer une loi qui y serait contraire. En tout état de cause le cas ne se pose pas en l’espèce car le juge administratif n’est pas compétent pour effectuer un contrôle de constitutionnalité de la loi. Cette interrogation pourrait toutefois s'avérer décisive lorsqu'il reviendra à ce juge de se prononcer sur l'incidence du principe de sécurité juridique sur les revirements de sa jurisprudence.
Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence du moyen de confiance légitime dans l’affaire société KPMG. En effet, le  « Conseil Ecofin » de l'Union avait approuvé un document intitulé « une première réponse de l'Union européenne aux questions politiques soulevées par l'affaire Enron », lors de la réunion informelle d'Oviedo (Espagne) en avril 2002 et la Commission européenne avait publié une recommandation du 16 mai 2002 sur « l'indépendance du contrôleur légal des comptes dans l'Union européenne : principes fondamentaux », préconisant l’indépendance de la profession de commissaires aux comptes notamment ; ces éléments permettant de sentir un revirement de jurisprudence ou la législation sur ce sujet, ce qui rend par conséquent les dispositions du code de déontologie prévisibles. Le moyen de confiance légitime qui a été soulevé ne semble donc pas opérant même au regard du droit de l’union, et ce à plus forte raison que l'indépendance du contrôleur légal mise en œuvre par le décret du 16 novembre 2005 avait été annoncée par la loi du 1er août 2003.
La CJCE a donc considéré qu’un « opérateur économique prudent et avisé », en l’espèce un commissaire au compte qui l’est d’autant plus par sa profession, devait s'attendre à ce que le code soit adopté et que les incompatibilités énoncées par l'article L. 822-11 du code de commerce entrent en application, le cas échéant de façon rétroactive. Ainsi, comme le souligne Yann Aguila « les intéressés étaient très largement prévenus du changement des règles notamment parce que le code de déontologie a été pris en application d'une loi qui date du 1er août 2003. Deux années de concertation entre l'administration et les professionnels concernés auront permis à ces derniers de bien connaître les intentions du gouvernement ».

B-   Une reconnaissance aux conséquences floues


Premièrement, il faut s’interroger sur la pertinence de l’obligation d’adopter des mesures transitoires. C’est le doyen Roubier qui amène les critiques les plus acerbes en ce qui concerne le droit transitoire, et qui trouvent à s’appliquer en l’espèce où le Conseil d’Etat ordonne la prise de mesures transitoires. Premièrement, il lui semble contraire de justifier la rétroactivité d’une disposition législative par des motifs d’ordre public alors que traditionnellement c’est la non-rétroactivité qui est précisément d’ordre public. Il pense deuxièmement que le juge n’est compétent pour déterminer les bas dans lesquels les dispositions législatives sont d'une importance telle qu'elles méritent d'avoir une incidence sur les contrats en cours. Troisièmement et pour lui cette théorie qui sert à justifier la rétroactivité a pour conséquence de former deux ordres publics distincts, celui de l’article 6 du code civil auquel les contrats ne peuvent déroger et l’ordre public qui s’impose non seulement aux contrats à venir mais aussi aux contrats conclus antérieurement. Il conduit alors le raisonnement qui tient à dire que ce n’est pas l’ordre public qui justifie la rétroactivité de la norme mais une distinction entre une loi qui régirait un régime contractuel et qui ne pourraient être rétroactive et celles qui régissent une situation légale et qui n'affectent donc qu'indirectement des relations contractuelles. En l'espèce, les dispositions du code de commerce relatives aux commissaires aux comptes ne font que fixer le statut légal de cette profession et s’apparentent donc à une loi qui régit une situation légale, en ne touchant qu’indirectement les contrats conclus par les commissaires aux comptes. Elle pouvait donc être rétroactive et donc s’appliquer aux situations contractuelles.
            Deuxièmement, on peut s’interroger sur la portée de l’arrêt société KPMG. D’une part, le Conseil d'Etat ne pourra donc plus désormais écarter comme inopérant un moyen tiré d'une atteinte au principe de sécurité juridique. Mais comme le dit avec justesseBernard Pacteau, la sécurité juridique est difficile à définir et le Conseil d’Etat pourra refuser un moyen qui se baserait sur la sécurité juridique en apparence et implicitement sur la confiance légitime : en effet, pour lui, « la notion de sécurité juridique, [...] a pour premier et apparent défaut - en tout cas pour handicap - de ne pas constituer une catégorie juridique aux frontières, ni donc aux conséquences, ni aux contours, ni au contenu, parfaitement bien délimités ».
            Troisièmement, il semble compliqué de concilier les motifs du Conseil d’Etat qui retiennent retenu le « caractère excessif au regard de l'objectif poursuivi » par le décret litigieux des « perturbations » causées par ce texte aux relations contractuelles nées avant son entrée en vigueur, qui fait une application favorable aux justiciables du principe de confiance  légitime ; et son rejet du moyen tiré de la violation de la libre prestations de services, pour lequel le Conseil d'Etat a considéré que « l'intérêt général qui s'attache à ce que les comptes donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat des sociétés constitue une raison impérieuse, au sens donné à ce concept par la CJCE, justifiant des limitations à la libre prestation de services de l'article 49 CE », qui justifie l’atteinte à une liberté fondamentale de droit communautaire pour des raisons d’intérêt général et donc autorise par la même une violation du principe de confiance légitime.
            Enfin, on aurait pu imaginer une décision plus audacieuse du Conseil d’Etat qui aurait pu prononcer une annulation différée s’inspirant de l’arrêt Titran (CE, 27 juillet 2001). Cette solution serait revenue à une suspension de l’application du décret aux contrats en cours jusqu’à une date déterminée, permettant alors aux opérateurs économiques de dénoncer des contrats et d’en renégocier d’autres. La décision n’est donc pas une révolution juridique même si elle apporte des précisions somme toute purement formelles en matière de principe général du droit.

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