COMMENTAIRE D’ARRET PENAL TD
Commentaire
d’arrêt : cass crim 11 octobre 2011 n°10-87212
« La
censure que [la Cour] prononce est la négation de toute présomption, le
renoncement à toute réécriture de l'article 121-2 du code pénal, qui serait
abusivement destinée à en rendre les dispositions plus répressives, et les
applications plus faciles. Par la cassation opérée, l'identification des
personnes physiques, en tant que relais de la responsabilité pénale de la
personne morale, n'est plus à regarder comme une dénaturation du droit, mais
comme une simple question de preuve ». Telle est l’observation formulée
par Yves Mayaud sous un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation
rendu le 11 octobre 2011 et qui a fait grand bruit. Il portait sur les
conditions de la responsabilité pénale des personnes morales et plus
précisément sur l’exigence de la qualité de représentant de la personne
physique auteur de l’infraction. Elle resserre dans cet arrêt publié au
bulletin et largement commenté l’acception de cette qualité qu’elle avait
auparavant un peu largement étendu.
En
l’espèce, pour effectuer des opérations de maintenance sur ses installations,
la société EDF avait fait appel à une entreprise extérieure. Au cours de
l’opération, la longe du salarié de l’entreprise était rentrée en contact avec
les conducteurs du réseau placés sous tension : il a reçu une décharge
électrique qui lui a fait lâcher prise et lui a fait faire une chute mortelle
de plus de huit mètres. La société EDF et les deux agents chargés de préparer
l’intervention de la société pour la maintenance ont été poursuivis pour
homicide involontaire sur le fondement des articles 221-6 du Code Pénal et
L230-2 ancien du Code du travail pour « défaut d’évaluation des
risques ». En première instance, le tribunal a retenu la culpabilité des
trois prévenus. Seule EDF a interjeté appel. La Cour d’Appel a confirmé la
décision de première instance en relevant un manquement aux obligations de
sécurité et constate que ce manquement devait être imputé à la société EDF,
l’infraction ne pouvant avoir été commise que par ses organes ou représentants
et les agents même s’ils ne faisaient pas l’objet d’une délégation de pouvoirs
formelle avait la qualité de représentants en raison de leurs attributions et
de leur statut. EDF s’est pourvue en cassation en mettant en exergue son
premier moyen tenant au lien insuffisamment caractérisé entre la qualité de ses
agents et celle requise des représentants de société en vertu de l’article
121-2 du Code Pénal.
L’opposition
entre ces deux visions de la responsabilité pénale des personnes morales invite
à s’interroger : en l'absence de délégation de pouvoirs formelle, un
salarié peut-il être qualifié de représentant de la personne morale au sens de
l'article 121-2 du Code pénal et engager par conséquence la responsabilité
pénale de son employeur personne morale ?
A
cette question la chambre criminelle répond de manière surprenante par la
négative. Elle casse et annule l’arrêt pour insuffisance de motifs, aux motifs
que la Cour d’Appel n’avait pas suffisamment caractérisé l’existence effective
d’une délégation de pouvoirs et n’avait pas expliqué en quoi le statut et les
attributions des agents d’EDF en faisaient des représentants de la société. Cet
arrêt en apparence ne fait que rappeler les conditions d’engagement de la
responsabilité de la personne morale, conditions qui avaient été élargies petit
à petit par la jurisprudence (I) mais si on
s’intéresse de plus près à l’arrêt, on aperçoit qu’il amorce un revirement de
jurisprudence à la portée importante (II).
I-
Un
rappel des conditions d’engagement de la responsabilité de la personne
morale : un arrêt didactique
L’arrêt du
11 octobre 2011 rappelle les exigences posées par l’article 121-2 du Code Pénal
pour l’engagement de la responsabilité des personnes morales : l’auteur de
l’infraction doit être un représentant de la personne morale qui a agi pour le
compte de celle-ci (A). Il ne remet pas en cause non plus l’extension de cette
qualification de représentant aux personnes faisant l’objet d’une délégation de
pouvoirs (B).
A. La qualité d’organe ou de
représentant de la personne morale : une qualité essentielle de l’auteur
de l’infraction
Commentaire
et explication de l’article 121-2 du Code Pénal : conditions pour
l’engagement de la responsabilité de la personne morale.
-
Personnes morales qui sont
susceptibles d’être responsables. Préciser qu’EDF rentre dans cette catégorie,
pas de problème pour la première condition.
-
En revanche le deuxième type
de conditions concerne l’infraction commise.
® Conditions
sont relatives à l’auteur des faits personne physique.
·
Culpabilité. Pas de problème
ici, doit avoir commis les éléments constitutifs de l’infraction à apprécier en
la personne de son organe ou représentant. Personne morale : pas besoin de
faute délibérée ou caractérisée.
·
Ce qui pose problème :
sa qualité. L’auteur de l’infraction doit être un organe ou un représentant
personne physique de la personne morale. Organes ou représentants : psnes
physiques ayant le pw de direction de la personne morale, que leur compétence
soit individuelle ou collégiale, ou que leur représentation soit statutaire ou
de pur fait. Est prise en compte toute situation permettant de considérer les
personnes en cause comme incarnant l'autorité, avec ce que cela permet de
solutions adaptées aux différents groupements, et surtout aux hypothèses très
variées auxquelles se prête leur gestion.Le ministère public doit le prouver
pour condamner la personne morale. L’infraction commise par la personne morale
ne peut pas matériellement l’être par elle, on est dans l’imputation indirecte
des faits. Responsable
pénalement en cas d’infraction commise par un associé, un salarié ou un préposé
(même resp civilement en qualité de commettant). Rien ne dit ici que ce sont des
représentants, la CA pour le dire se base sur une présomption sans étayer l’idée de la délégation de pw.
® Deuxièmement
d’autres conditions concernent le titre auquel a agi l’auteur des faits : il
doit avoir agi pour le compte de la personne morale ou du moins ne pas avoir
agi dans son strict intérêt personnel. Si on ne sait pas qui c’est ou que ce n’est
pas un représentant il ne pouvait pas agir au nom de la personne morale
puisqu’il n’avait pas le pouvoir d’engager la personne morale.
B. L’extension
jurisprudentielle de la qualité de représentant : le cas de la délégation
de pouvoirs
Solution
acquise d’exonération du représentant par la délégation de pouvoirs. Un salarié
peut engager la responsabilité pénale d’une société si en vertu d’une
délégation de pouvoirs il aurait eu des pouvoirs du chef d’entreprise. (Cass.
crim., 1er déc. 1998). Marche aussi pour la subdélégation (Cass. crim., 26 juin
2001) quel que soit le domaine des pouvoirs délégués.
Pour admettre la délégation de
pouvoirs il existe certaines conditions : Elle doit concerner, tout
d’abord, une entreprise d’une importance suffisante qui empêche le dirigeant
d’en assurer lui-même la surveillance effective. Le délégué doit être, de plus,
une personne dotée de la compétence et de l’autorité
nécessaire, ce qui implique des aptitudes techniques et une certaine
autonomie et exclut, au contraire, les délégations générales. Enfin, et
c’est plus une interdiction qu’une condition, ne saurait être considérée comme
une délégation de pouvoirs exonérant un individu, un acte conférant à une
personne des pouvoirs identiques à ceux du premier.
La décision
étudiée ne dit pas qu’un salarié ne peut plus être qualifié de représentant en
cas de délégation de pouvoirs, au contraire elle confirme implicitement, d’une
part, que la responsabilité d’une personne morale peut être retenue en présence
d’une infraction commise par le bénéficiaire d’une délégation de pouvoirs
émanant du dirigeant, mais aussi, d’autre part, que cette même délégation n’est
envisageable que sous certaines conditions (elle exige sur ce point que les
juges du fond s’expliquent « sur l’existence effective d’une délégation de
pouvoirs » pour pouvoir la retenir).
L’arrêt de la Cour d’Appel dit que les salariés d’EDF
étaient des représentants en raison de « leur statut et leurs attributions
clairement définis » (faisant
implicitement référenceà une décision de la CCass de 2006 qui mène une
présomption on le verra). Il prévoit même une éventuelle censure en précisant
que l’absence de délégation formelle de pouvoir ne fait pas obstacle à cette
qualification. Ils ont raison : il
est acquis depuis longtemps que l'écrit n'est érigé ni en condition de validité
de la délégation de pouvoirs ni même en condition de preuve crim 27 février
1979.
Elément
contredit par le pourvoi d’EDF qui rappelle une autre formule utilisée
précédemment par la Cour de cassation selon laquelle la qualité de représentant
suppose l’existence de pouvoir diriger et engager la personne morale à l’égard
des tiers.
Explicitement
la Cour de cassation ne dit pas que les agents de maîtrise ne pouvaient pas
être qualifiés de représentants car ils n’avaient pas ces pouvoirs mais censure
la décision de la Cour d’Appel pour défaut de base légale, l’arrêt n’ayant pas
suffisamment justifié sa qualification. Elle s’appuie sur son exigence rappelée
dans le pourvoi pour le salarié de posséder l’autorité la compétence et les
moyens nécessaires pour veiller à l’application de la réglementation.
Elle ne dit
pas que pas de délégation de pouvoirs formalisée = pas de responsabilité de la
personne morale. Les juges du fond doivent seulement prouver l’existence d’une
délégation de pouvoirs formalisée ou un faisceau d’indices factuels qui
justifient une sorte de délégation de pouvoirs tacite.
Implicitement
la Cour revient sur ces décisions qualifiées d’anthropomorphistes par certains
auteurs qui condamnaient la personne morale en supposant qu’elle avait commis elle-même
les éléments constitutifs de l’infraction
ou en autorisant la non-identification des auteurs physiques de
l’infraction. Oblige à identifier et qualifier les auteurs physiques de
l’infraction.
II-
La fin d’une violation de l’article 121-2 du Code Pénal ou le
« retour à l’orthodoxie » (N. Rias) : un arrêt novateur
L’arrêt de
la chambre criminelle du 11 octobre 2011 est novateur car il abandonne une
présomption d’imputabilité à la personne morale qu’elle avait elle-même
élaborée précédemment et qui allait à l’encontre de la loi (A). Par ce
rétrécissement de l’acception du représentant et ce retour à l’interprétation
stricte de la loi pénale, la Cour de cassation rend un arrêt de principe à la
portée considérable (B).
A. De la présomption
d’imputabilité à la nécessaire preuve de la délégation : un rétrécissement
de l’acception de la notion de représentant
Un sentiment diffus se répand à
l'examen de la mise en œuvre jurisprudentielle de la responsabilité pénale des
personnes morales : des impératifs d'opportunité répressive ne prendraient-ils
pas l'avantage sur l'application rigoureuse de certains principes juridiques
qui gouvernent normalement le droit pénal ? Citation de Nicolas Rias relative à
l’ancienne jurisprudence de la chambre criminelle qui dénaturait le texte de la
loi pénale.
Originellement
dans une lecture d’interprétation stricte comme cela est la règle de l’article
121-2 du Code Pénal, l’engagement de la responsabilité pénale d’une personne
morale suppose que celle-ci ait agi par le biais d’une personne physique.
Etant donné
que la condamnation de la personne physique auteur n’est pas une condition de
l’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale, on pouvait se
demander si cette dernière
responsabilité pouvait être engagée même si la personne physique qui avait
commis l’infraction n’avait pas été identifiée.
Circulaire
du 14 février 2006 cela est possible uniquement « en cas d'infraction non
intentionnelle, mais également en cas d'infraction de nature technique pour laquelle
l'intention coupable peut résulter conformément à la jurisprudence
traditionnelle de la Cour de cassation de la simple inobservation, en
connaissance de cause d'une réglementation particulière, les
poursuites contre la seule personne morale devront être privilégiées,
et la mise en cause de la personne physique ne devra intervenir que si une
faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier d'une
condamnation pénale ».
Nécessité
de rechercher chez l’organe ou le représentant les éléments constitutifs de
l’infraction et notamment l’élément moral (Cass. crim., 2 déc. 1997).
Suppose
l’identification de l'organe ou du représentant, conformé par crim, 18 janv.
2000.
MAIS changement
de JP sous influence des juges du fond en droit pénal du travail : la
CCass retenait que la personne morale pouvait être déclarée pénalement
responsable alors qu'aucune personne physique n'avait été désignée
comme auteur matériel du délit, « dès lors que cette infraction n'a
pu être commise, pour le compte de la société, que par ses organes ou
représentants » (Cass. crim., 20 juin 2006).
Valeur de
cette affirmation : présomption
d'imputation des infractions aux organes ou représentants.
S’explique pour les accidents du travail. Besoin d’une faute qui peut être une
infraction matérielle aux dispositions du Code du travail. Imputable selon l'article L. 4741-1 du Code du travail à
« l'employeur ou son délégataire » à savoir, selon la
jurisprudence constante en la matière, au représentant légal de la personne
morale ou à son délégataire. Manquements à l’origine des accidents imputables
aux délégataires.Donc pas besoin d’identifier la personne
physique.
Ex :
responsabilité de la société Air France, à l'occasion d'un accident du travail
d'un salarié, sans déterminer la personne physique auteur matériel du
manquement réglementaire à l'origine de l'accident en précisant que la société
« était tenue, par ses organes ou ses représentants, de faire respecter les
prescriptions réglementaires en matière de sécurité » (Crim, 30 sept. 2011).
PB : imputation
aux organes ou représentants clairement érigée en condition de la
responsabilité pénale des personnes morales 121-2. Or la présomption a pour
conséquence de la neutraliser purement et simplement. Présomption simple
compatible avec la présomption d’innocence mais irréfragable dans sa
formulation. Il est manifestement impossible d'établir que l'infraction n'a pas
été commise par les organes ou représentants de la personne morale lorsque la
présomption énonce justement que cette infraction n'a pu être commise que par
eux.
+
Critiquable car l’article 121-3 alinéa 3 impose une appréciation in concreto de
la faute, (suppose l’identification de la personne physique auteur de
l’infraction). Encore pire quand il
s’agissait d’apprécier un comportement imprudent et maladroit.
Etendue aux
infractions intentionnelles « dans le cadre de la politique commerciale des
sociétés en cause et ne peuvent, dès lors, avoir été commises, pour le compte
des sociétés, que par leurs organes ou représentants » (crim, 25 juin 2008).
La cour
savait que cette position était critiquable : Refus de renvoi de la QPC
le 11 juin 2010 car pas de caractère sérieux ! Et irrecevable car
concernait son interprétation (large !) du CP.
Suite à ces
décisions les juges du fond pensaient que l’identification des organes ou
représentants auteurs matériels des faits ou leur qualification n’était plus
une condition pour retenir la responsabilité de la personne morale. Donc logiquement la Cour d’Appel a retenu la
responsabilité d’EDF dans l’affaire. On est bien dans un manquement à
l'obligation de sécurité et de prudence issue de l'article
L. 230-2 du Code du travail. ≠ Air France
Contrariété
avec l’arrêt Cass. crim., 20 juin 2006 : tempérament à la présomption
d'imputation des infractions non intentionnelles aux organes et représentants
des personnes morales.
Changement de JP bien accueilli « L'ancienne jurisprudence pouvait laisser le
sentiment que le juge faisait peu de cas d'une exigence légale de condamnation.
La présente décision dissipe cette apparence et suggère heureusement une
relation harmonieuse entre le juge qui applique et le législateur qui décide. »Jean-François Cesaro
B. Une véritable Révolution
jurisprudentielle à la portée considérable
Selon ancienne JP CCass motivation
CA surabondante et aurait constaté que de toutes façons, la faute des
subalternes, délégués ou non, révélait un défaut de surveillance, et donc une
imprudence, commise par leurs supérieurs hiérarchiques, organes ou représentant
de la société EDF.Or, c'est précisément ce qu'elle ne fait pas et c'est en
cela que l'arrêt rapporté a pour « contenu implicite l'éviction de la
présomption d'imputation » (N. Rias).
Resp des personnes
morales sur un fondement plus conforme à la lettre de l'article 121-2 : la
faute imputée à ces entités doit être recherchée dans le comportement des
agents qui exercent, en son sein, un pouvoir supérieur d'organisation et
d'administration et qui expriment l'équivalent de ce qui est, chez les
personnes physiques, la conscience et la volonté.
Chambre n’utilise pas la violation
de la loi pour base de sa cassation mais l’article 593 du Code de
procédure pénale sur le défaut de motivation : se réserve la possibilité
de revenir sur cette décision.
Article
221-6 CP distingue deux sortes de fautes d'imprudence :
-
celles
qui consistent en une « maladresse, imprudence, inattention, négligence »
d'autre part
-
celles
que constitue un « manquement à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement ».
Distinction
très importante droit travail car seconde uniquement imputable à l’employeur ou
ses délégués, l’autre à toute personne physique. crim., 23 janv. 1975
En
l’espèce : imprudence
qui ne résulte pas de la violation d'un règlement.
Extension de l’arrêt aux homicides
ou blessures involontaires provoqués une violation ?
Les employeurs et leurs délégués,
continueront, en vertu de l'article L. 4741-1 du
Code du travail,
d'en être déclarés responsables. Délégués = représentantsdonc les personnes morales
seront, dans tous les cas, condamnées du chef de telles infractions qui
n'auront pu être commises que par un de leur organe ou représentant.
Etendre le
revirement de JP pour les infractions intentionnelles. Si une présomption
d'imputation survit, il ne pourra s'agir que d'une « présomption de
l'homme » dont l'article 1353 du Code
civil (indices
factuels nombreux, concordants et concrètement appréciés par le juge du fond
avant qu'il ne puisse en déduire que, tous comptes faits, seul un représentant
de la personne morale, doué d'un pouvoir important, a pu commettre
l'infraction).
Solution confirmée par crim., 8 nov. 2011, n° 11-81.422 confirmant
un arrêt de la cour d'appel de Reims ayant retenu la responsabilité d'une
personne morale en prenant soin de relever que l'absence de plan de prévention
à l'origine de l'accident mortel d'un salarié d'une entreprise extérieure
constituait une faute « de la part du directeur de l'usine, titulaire d'une délégation
de pouvoirs régulière ».
N’a cessé d’être réitérée ensuite (Cass crim 1 avril 2014 n°12-86501
qui énonce « qu’encourt la censure l'arrêt ayant déclaré une personne
morale coupable sans rechercher par quel organe ou représentant le délit lui
étant reproché a été commis pour son compte », et 6 mai 2014 n°13-81406).
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