L’ETAT D’URGENCE : RESTREINDRE LES LIBERTÉS POUR MIEUX LES PROTÉGER ?
L'ÉTAT D’URGENCE : RESTREINDRE LES LIBERTÉS POUR MIEUX LES PROTÉGER ?
La France est un Etat de droit. La puissance publique ne peut agir que conformément aux
règles de droit en vigueur : c’est le principe de légalité. Les individus bénéficient de libertés
fondamentales et la Justice, indépendante, est là pour les garantir. Il existe cependant des
circonstances dans lesquelles la loi va permettre à la puissance publique de limiter ces libertés : c’est
le cas de l’état d’urgence. Il s’agit donc d’un régime juridique restrictif. A ce titre, il est étudié par les
étudiants en droit. Il s’agit d’un thème transversal qui peut être abordé en droit constitutionnel,
administratif, en libertés publiques ou bien encore en droit pénal.
Après les attentats qui ont frappé Paris ce vendredi 13 novembre 2015, le président de la
République a déclaré rapidement l’état d’urgence. Cela n’est plus, depuis samedi, une notion
abstraite étudiée dans un amphithéâtre et illustrée à l’aide de quelques exemples historiques. L’état
d’urgence va, pendant quelques jours, probablement quelques mois, faire parti de notre quotidien. Il
doit donc aujourd’hui, de par les évènements qui nous touchent, être expliqué à tous les citoyens, à
toutes les personnes se trouvant sur le sol français, et aux jeunes en particuliers, qui ont,
malheureusement été les premiers touchés par les actes terroristes de ce vendredi noir.
Après avoir définit le cadre législatif de l’état d’urgence (I), nous nous intéresserons aux
quelques exemples qui ont maqué l’histoire récente (II) avant d’expliquer en quoi il s’agit bien d’un
régime restrictif des libertés (III).
I. LE CADRE LEGISLATIF
L’état d’urgence est prévu dans la loi 55-385 du 3 avril 1955. Son article 1er dispose que :
« L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des territoires
d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la constitution et en Nouvelle-
Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas
d’événements présentant par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique »
Les conditions de mise en œuvre sont les suivantes :
✓ L’état d’urgence peut être mis en œuvre dans deux cas : « soit en cas de péril imminent
résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur
nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
Les actes terroristes perpétrés ce vendredi et les risques de nouveaux attentats appartiennent à la
première catégorie.
✓ L’état d’urgence suppose une décision prise en conseil des ministres.
Un conseil des ministres a été convoqué par le président de la République entre vendredi et samedi.
Les décrets ont été publiés au Journal officiel du 14 novembre 2015.
✓ Le décret doit préciser la zone géographique d’application de l’état d’urgence.
Le premier décret prévoit aujourd’hui l’application « sur le territoire métropolitain et en Corse ».
Tandis que le second prévoit des dispositions particulières applicables « à l’ensemble des communes
d’Ile-de-France »,
✓ La durée d’application est limitée à 12 jours. Au-delà l’Etat d’urgence peut être prolongé par
le parlement dans le cadre d’une loi.
Le gouvernement par la voix du premier ministre a précisé qu’étant données les circonstances et
notamment les opérations de police en cours, une prolongation serait certainement nécessaire. Lors
de son allocution devant le Parlement réunit en Congrès à Versailles le président a précisé qu’un
projet de loi sur prolongation de l’état d’urgence pour les 3 prochains mois sera présenté devant le
Parlement dès mercredi.
II. HISTOIRE DE L’ETAT D’URGENCE DEPUIS SA CREATION EN 1955
L’état d’urgence n’est pas un acte anodin. Il a été déclaré lors de « circonstances
exceptionnelles », qu’à connu notre pays et sur lesquelles nous allons revenir.
1. LA GUERRE D’ALGERIE
L’état d’urgence a été créé dans le contexte de la guerre d’Algérie. Il a ainsi été mis en place à
l’époque dans les départements de l’Algérie française pendant 3 mois en 1955, avant d’être appliqué
en métropole pour la première fois en 1958 pour une durée de 15 jours. Le général de Gaulle
décidera ensuite de la mise en œuvre de l’état d’urgence en France d’avril 1961 à mai 1963. Les
conditions dans lesquelles l’état d’urgence avait été mis en place, ainsi que sa durée avaient alors fait
l’objet de vives critiques.
2. LES AFFRONTEMENTS EN NOUVELLE CALEDONIE EN
1984
Le gouvernement décide de déclarer l’état d’urgence sur le territoire de Nouvelle Calédonie. De
nombreux sénateurs et députés avaient contesté la constitutionnalité de la loi de 1955 devant le
Conseil constitutionnel en faisant valoir que :
« le législateur ne peut porter d'atteintes, même exceptionnelles et temporaires, aux libertés
constitutionnelles que dans les cas prévus par la Constitution ; que l'état d'urgence qui, à la
différence de l'état de siège, n'est pas prévu par la Constitution ne saurait donc être instauré
par une loi » ;
Mais le Conseil constitutionnel avait rejeté le recours des parlementaires :
« 4. Considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l'état de siège,
elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état
d'urgence pour concilier, comme il vient d'être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde
de l'ordre public ; qu'ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas eu pour effet d'abroger la
loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui, d'ailleurs, a été modifiée sous son empire »
3. LES EMEUTES DE BANLIEUE EN 2005
L’état d’urgence avait été décidé après plusieurs jours d’émeutes dans les banlieues. Il avait été
prolongé pour une durée de 3 mois par une loi du 18 novembre 2005 et avait pris fin en janvier 2006.
Le premier ministre, Dominique de Villepin, avait justifié l’état d’urgence par le fait qu’il fournissait
« les outils nécessaires pour restaurer très vite la paix dans les quartiers. ». Le recours à l’état
d’urgence avait cependant été fortement critiqué.
III. UN REGIME RESTRICTIF DES LIBERTES
L’état d’urgence prévoit un transfert de pouvoirs exceptionnels aux autorités administratives
encadrés par un régime particulier de recours administratifs et juridictionnels pour les personnes
concernées et permet la restriction de certaines libertés publiques.
1. L’ETAT D’URGENCE PERMET UN TRANSFERT DE
POUVOIRS EXCEPTIONNELS AU MINISTRE DE
L’INTERIEUR ET AUX PREFETS
Le ministre de l’intérieur dispose d’un pouvoir d’assignation à résidence lorsque les activités d’un
individu se révèlent dangereuses pour l’ordre public.
Dans un département, le préfet peut :
✓ Réglementer la circulation des personnes et des véhicules
✓ Décider de zone de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé
✓ Interdire le séjour de personnes susceptibles d’entraver l’action des pouvoirs publics
2. L’ETAT D’URGENCE PERMET LA MISE EN ŒUVRE D’UN
REGIME PARTICULIER DE RECOURS ADMINISTRATIF ET
JURIDICTIONNEL POUR LES PERSONNES DESTINATAIRES
DES DECISIONS PRISES PAR LE MINISTRE DE L’INTERIEUR
OU LE PREFET
Les personnes concernées par les décisions du ministre de l’intérieur ou des préfets peuvent :
o Demander le retrait des mesures dont ils sont l’objet, (avis d’une commission
consultative)
o Contester la mesure prise à leur encontre devant le tribunal administratif
territorialement compétent. Les délais sont restreints et le Conseil d’Etat est juge
d’appel et doit
3. L’ETAT D’URGENCE PERMET DE RESTREINDRE LES
LIBERTES PUBLIQUES
o Interdire des réunions publiques, fermer des salles de spectacles et des débits de
boisson. Les manifestations et rassemblements comme ceux ayant suivi les attentats
de Charlie hebdo pourraient être concernés par une telle interdiction.
o Ordonner la remise des armes
Si le décret, puis la loi prévoyant la prorogation, l’autorisent expressément, il est possible de :
o Limiter la liberté de la presse
o Permettre aux forces de police de procéder à des perquisitions à domicile de jour et de
nuit.
En l’espèce, le décret ne prévoit pas de limiter la liberté de la presse mais autorise les
perquisitions. D’autres mesures seront cependant probablement prévues à l’occasion de la demande
de prorogation devant le Parlement. Au-delà de l’état d’urgence, le président de la République a
annoncé souhaiter une révision de la Constitution. Les articles 16 (conditions d'attribution des
pouvoirs exceptionnels au président), et 36 (état de siège,) ne sont pas, selon lui « adaptés à la
situation que nous rencontrons ». Cette allocution fait déjà débat : si certains applaudissent, d’autres
dénoncent les dangers d’une dérive sécuritaire.